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Citoyens et science : comment accorder sa confiance sur des sujets controversés ?

Dans les débats de société qui animent nos démocraties, la science a souvent une place ambiguë. D’un côté, on cherche souvent dans la science des réponses, capables d’éclairer nos choix, de proposer des solutions à nos problèmes communs. De l’autre, la science est l’objet de controverses multiples : elle est parfois discutée, niée, parfois manipulée, instrumentalisée.

Régulièrement, les sondages montrent que la défiance envers la science progresse dans la société. Par exemple, selon un sondage Ipsos-Sapiens, moins de la moitié des citoyens estime que l’on peut faire confiance aux scientifiques sur les questions relatives à la santé. Dans le même temps, à peine la moitié des Français dit comprendre les méthodes de la recherche scientifique. 

Alors que la science n’a jamais été aussi sollicitée pour contribuer à répondre à nos problèmes collectifs, elle semble aussi susciter de plus en plus l’incompréhension, la méfiance, voire l’inquiétude. Il semble donc essentiel aujourd’hui de se demander comment renouer le dialogue, comment renforcer les conditions d’une confiance renouvelée entre les sciences d’un côté et la société civile et politique de l’autre. Comment mieux impliquer les citoyens sur les questions scientifiques ? Mais aussi, en tant que citoyen, comment se forger une opinion ? À qui, à quelles informations se fier ? 

 

Une conférence pour renouer le dialogue entre science et société

En tant qu’agence publique et scientifique, l’Andra s’intéresse à ces questions et c’est la raison pour laquelle elle a souhaité soutenir la conférence organisée en septembre dernier à Paris par Youmatter, média de la transition écologique et sociale, sur le thème  « Citoyens et science : comment accorder sa confiance sur des sujets controversés ? ». L’occasion de réunir différents acteurs intéressés par le sujet :

  • Brice Laurent, sociologue et chercheur à l’Ecole des Mines de Paris, spécialiste des relations entre science et société, et responsable de la direction Sciences Sociales, Economie et Société de l’ANSES.
  • Ludovic Torbey, vulgarisateur scientifique pour la chaîne YouTube Osons Causer. 
  • Sylvie Cot, une citoyenne ayant participé à une conférence de citoyens sur le projet de stockage géologique des déchets les plus radioactifs (Cigéo), organisée par l’Andra.

Autour d’eux, près d’une quarantaine de citoyens de tous horizons (scientifiques, ingénieurs, acteurs des médias, de la vulgarisation scientifique, acteurs du monde associatif) étaient invités à prendre part au débat.

Retour sur cet événement et bilan des discussions.

 

Des pistes pour assainir la relation science - société

« Les relations entre science et société : un enjeu crucial. » - Brice Laurent

Ludovic Torbey (vulgarisateur pour la chaîne Osons causer)

Pour comprendre pleinement la question de la relation entre science et citoyens, les participants à la conférence ont souligné la nécessité de ne pas la simplifier, la caricaturer en opposant le monde de “la science” et celui des citoyens. « Il n’existe pas “une science” : au sein de la science, il y a de nombreux domaines, différents niveaux de certitudes et différents niveaux d’incertitude », précise Ludovic Torbey. 

Certaines données scientifiques sont bien établies, d’autres sont encore en train de se construire. L’incertitude n’est pas la même selon les disciplines scientifiques, selon les problèmes qu’elles essaient d’éclairer. Et face à cette science plurielle, il existe également une société plurielle, des citoyens qui n’ont pas toujours la même relation aux données scientifiques, le même niveau de connaissances des questions scientifiques. D’où la complexité du débat et la multiplicité des niveaux de lecture. « Les citoyens ont des intérêts différents, des rapports à la science différents, et les faire se rencontrer et les faire réfléchir ensemble à la manière dont les données scientifiques peuvent éclairer nos décisions collectives, c’est majeur », insiste Ludovic Torbey.

Ne pas attendre des sciences qu’elles répondent à tout

Sylvie Cot (participante à la conférence de citoyens sur Cigéo)

L’autre enjeu est de clarifier la place des sciences dans la société. Selon les acteurs du débat, il est parfois considéré que les sciences doivent apporter des réponses claires et irréfutables aux problèmes de société. 

Pourtant, l’incertitude inhérente aux sciences et la complexité des choix politiques qui peuvent en découler oblige la parole scientifique à une certaine forme d’humilité. « D’un côté on a l’image d’une science qui va nous dicter des choix éthiques, alors que ce n’est à mon avis pas le rôle de la science. De l’autre, nous avons des choix politiques mâtinés de tellement d’autres enjeux financiers, sociétaux, etc. que la science ne peut pas être le seul interlocuteur dans ces débats », note Sylvie Cot.

Les sciences peuvent éclairer certains débats, aider à prendre des décisions, à mieux connaître certains problèmes. Mais elles ne peuvent pas décider à la place de la société. « Il faut distinguer différents types de débats citoyens, sans attendre que mécaniquement la science éclaire tous ces débats. Cela prend parfois du temps, le temps que des acteurs qui sont à des places différentes se comprennent. C’est d’ailleurs encore plus complexe quand la science est encore en train de se faire, comme on l’a vu avec la Covid », justifie Ludovic Torbey.

Ouvrir le dialogue à tous les acteurs de la société

Brice Laurent (sociologue et chercheur à l’Ecole des Mines de Paris)

Les échanges lors de la conférence ont montré que le dialogue est indispensable pour résoudre les problèmes d’incompréhension qui existent parfois entre sciences et acteurs de la société. « La place de la science en démocratie concerne tout le monde : experts, ingénieurs, milieu associatif, citoyens intéressés par la science, etc. Et c’est important de réunir l’ensemble de ces personnes-là pour explorer cette question », relève Brice Laurent.

Cela suppose de prendre le temps de comprendre les inquiétudes des uns et des autres, de prendre le temps de débattre, d’exposer et d’expliciter les controverses, la méthode scientifique, en favorisant la transparence et la co-construction. « Il faut que les institutions publiques et les institutions scientifiques, qui gèrent des problèmes de société, se mélangent à la société pour mieux parler à la population, mieux partager leur expertise. Plus ces institutions s’éclairent de la façon dont les citoyens reçoivent leurs expertises, et plus chacun fait en sorte de mieux se comprendre pour décider ensemble, meilleurs sont les débats de société », précise Ludovic Torbey.

Les médias, les vulgarisateurs scientifiques, ont aussi un rôle à jouer pour créer du lien, en diffusant la parole scientifique de la façon la plus précise et transparente possible, mais aussi en permettant aux différents acteurs de se parler, d’interagir.

Une question de société plus large

Au regard du débat, la question de la relation entre sciences et citoyens pourrait être pensée dans un cadre plus large que celui de la pédagogie, de la diffusion et de l’échange d’information.

Les sciences peuvent toucher à des questions éthiques profondes sur lesquelles il convient de rester ouvert et nuancé. « Il y a de nombreuses questions : quoi croire, qui croire ? Doit-on adapter, vulgariser un discours scientifique pour que les gens le comprennent ? Mais pour moi, cela va plus loin : nos croyances vont au-delà d’un discours scientifique ou du résultat d’une expérience », explique Sylvie Cot.

L’enjeu est aussi politique. La défiance qui frappe parfois les sciences est certainement à rapprocher de la défiance qui affecte toutes les institutions, toutes les autorités. « La question de la confiance envers la science est évidemment une question de connaissance, de pédagogie, de compréhension. Mais ce n’est pas que ça. C’est aussi une question politique, une question de légitimité des institutions, une question de confiance envers les décideurs. Tant que l’on n’arrivera pas à lier la question de la science avec la question de la confiance et de la légitimité envers les institutions, on ne parviendra pas à résoudre la question de la défiance envers la science », conclut Brice Laurent.