30 ans de l'Andra - « Rester ce que nous avons toujours été : un opérateur industriel public rigoureux et responsable »
À l’occasion du trentième anniversaire de l’Andra, Pierre-Marie Abadie, directeur général de l’Agence revient sur la mission et les objectifs de l’Andra. Les maître-mots : responsabilité, excellence scientifique et industrielle, progressivité et dialogue. Interview.
L’Andra fête ses 30 ans en tant qu’agence publique. Que cela représente-t-il pour vous ?
Nous avons atteint l’âge de la maturité. Et ce n’est pas un vain mot au regard du chemin parcouru entre nos débuts en 1991 où nous exploitions alors un seul centre de stockage dans la Manche et aujourd’hui, à l’aube du dépôt de la demande d’autorisation du projet Cigéo. L’Agence a grandi et s’est transformée en capitalisant sur son expérience d’acteur de la recherche, de concepteur d’installations de stockage et d’exploitant industriel. J’en retiendrais la confirmation de quelques grands principes qui nous caractérisent :
Notre sérieux et notre sens des responsabilités. L’Andra a une mission d’intérêt général : prendre en charge les déchets radioactifs et les mettre en sécurité sur le long terme pour protéger l’homme et l’environnement. Cette responsabilité, c’est celle de notre génération vis-à-vis des suivantes. C’est notre mode de vie via la production d’électricité nucléaire qui génère ces déchets. Notre mission, en tant qu’agence publique, est de proposer des solutions de gestion pour que notre société exerce cette responsabilité. Et nous relevons cette mission avec tout le sérieux et la rigueur que cela impose sur le plan scientifique et technique.
Le cheminement et la progressivité. Nos sociétés contemporaines se caractérisent par la célérité (information, innovation, décisions, etc.) et peuvent parfois être désorientées face à la durée de vie de certains déchets radioactifs. Notre rôle s’inscrit donc en décalage de cette tendance pour prendre la mesure de ce temps long, tout en jalonnant nos actions de rendez-vous réguliers pour éclairer les décisions publiques.
Le dialogue et l’ancrage dans les territoires où nous sommes implantés. À l’heure des réseaux sociaux et de l’émergence de l’expertise citoyenne, nous devons créer les conditions d’un débat éclairé où chaque citoyen peut se saisir de ce sujet de société. Notre démarche d’ouverture auprès du grand public s’inscrit en ce sens. Cette ouverture est également essentielle vis-à-vis des territoires d’accueil de nos centres. Accepter un site de stockage est un engagement fort de la part de ces territoires au service de la Nation. La Nation leur doit en retour de la considération, du soutien et un développement socio-économique qui fasse sens en ces temps de transition écologique. Nous devons les accompagner à notre niveau pour créer les conditions d’un développement qui dépasse nos seules activités.
« À l’heure des réseaux sociaux et de l’émergence de l’expertise citoyenne, nous devons créer les conditions d’un débat éclairé où chaque citoyen peut se saisir de ce sujet de société. »
Quel regard portez-vous sur le chemin parcouru ?
Deux éléments structurants ont permis à l’Andra d’évoluer et de s’adapter en maintenant un haut niveau d’expertise sur le stockage des déchets radioactifs. Nous nous appuyons d’abord sur des institutions et des processus démocratiques forts : le Gouvernement et le Parlement (notamment l’Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques) pour impulser la politique de gestion des matières et déchets radioactifs ; des autorités indépendantes de contrôle et d’évaluation (l’Autorité de sûreté nucléaire [ASN], la Commission nationale d’évaluation, etc.) ; ou encore des instances de démocratie participative (le Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire, les commissions locales d’information, etc.).
Ensuite, la loi de 1991, qui a donné son indépendance à l’Andra, a pris le soin de fixer des feuilles de route claires permettant de structurer notre action dans le temps et de jalonner les décisions à prendre : chaque décision est étudiée et nourrie en veillant à ne pas préempter ou fermer les décisions futures.
Qu’est ce qui fait la particularité de l’Andra aujourd’hui ?
Il est important de rappeler que nous assurons la gestion des déchets radioactifs français de façon indépendante, au service de l’intérêt général. L’Andra est placée sous la tutelle des ministres chargés respectivement de l’écologie et de la recherche. Nous sommes le bras armé de l’Etat qui fixe seul le cap et la stratégie. L’Agence est ainsi à la fois un acteur scientifique (30 ans de R&D sur le projet Cigéo) et industriel (plus de 50 ans d’expérience avec le Centre de stockage de la Manche notamment) de premier ordre. Et nous rendons des comptes à une autorité indépendante, l’ASN.
Ce cadre bien défini et exigeant est une garantie pour mettre en œuvre les solutions les plus sûres pour gérer les déchets radioactifs. Nous pouvons être fiers aujourd’hui de notre capacité à intégrer les savoirs et les connaissances dans toutes disciplines touchant à la problématique des déchets radioactifs. Cela nous donne une responsabilité importante, mais aussi une légitimité pour appuyer les pouvoirs publics dans la définition de la politique nationale sur ce sujet.
Quelles grandes étapes importantes ont marqué cette année 2021 ?
Cet « anniversaire » est a été marqué par des étapes charnières pour l’Agence. C’est le cas avec le projet d’extension capacitaire du Cires (Acaci), dans l’Aube, qui atteste de nos progrès puisqu’il s’agit, à surface de stockage équivalente, d’accroître la capacité de stockage de ce centre industriel de près de 50 %.
C’est aussi le cas avec le projet Cigéo : la procédure de demande de déclaration d’utilité publique suit son cours et nous finalisons le dossier de demande d’autorisation de création. Si Cigéo est autorisé, la perspective de sa construction nécessite d’entamer dès maintenant des changements culturels et d’organisation au sein de l’Agence. Toutefois, ces préoccupations immédiates n’altèrent pas notre capacité à réfléchir à plus long terme. Pour un projet comme Cigéo, avec plus d’une centaine d’années de fonctionnement, demain est à la fois le jour suivant et dans 10, 20 ou 30 ans. C’est pourquoi nous avons par exemple revu récemment notre vision stratégique de la R&D pour la dizaine d’années à venir. La recherche ne s’arrête pas à la mise en service d’une installation de stockage. Nous visons l’amélioration continue des connaissances afin de pouvoir y intégrer les progrès scientifiques et technologiques.
Dans un contexte de crise de confiance à l’égard de la science, comment le sujet des déchets radioactifs est perçu et comment l’Andra se positionne-t-elle ?
Nous avons à gérer un sujet par nature clivant qui est au croisement de la science et du débat de société. C’est un défi dont le projet Cigéo en est l’illustration la plus concrète. La première difficulté est que le débat autour du projet Cigéo est lié au débat sur l’avenir du nucléaire. Mais que l’on poursuive ou non avec ce mode de production d’électricité, la majorité des déchets radioactifs sont déjà produits et il est nécessaire de s’en occuper dans tous les cas de figure.
C’est à l’Andra de démontrer que ce projet a atteint un niveau de maturité scientifique et technique suffisant. Nous pouvons aujourd’hui affirmer que c’est le cas pour nourrir la procédure d’autorisation auprès de l’ASN. Nos 30 années d’acquisition de connaissances, d’expérimentations dans notre laboratoire souterrain de recherche, en nous appuyant sur les meilleurs experts français et internationaux, nous fournissent la base scientifique et technique pour entrer dans ce processus au long cours.
Les questions éthiques et de gouvernance sont également au cœur des interrogations, d’autant plus sur un projet dans le fonctionnement doit s’appréhender sur plus de quatre générations. C’est bien là tout le sens et la portée concrète de la réversibilité, souvent mal comprise, qui donne la capacité de réévaluer régulièrement les choix, de les réorienter ou de revenir en arrière. Elle comprend la récupérabilité des colis de déchets pendant le fonctionnement du stockage, mais va bien au-delà. C’est une manière de répondre aux aspirations sociétales : avancer dans la conduite du projet sans enfermer les générations suivantes dans nos choix.
À cela s’ajoute une perception nouvelle et récente du contexte de crises (climatique, géopolitique, migratoire ou sanitaire) dans lequel sont plongées nos sociétés. Il éclaire d’un jour nouveau l’exigence de responsabilité pour notre génération : engager maintenant les projets de stockage tant que nous le pouvons, compte tenu des compétences dont nous disposons, de nos capacités industrielles et financières et des institutions solides sur lesquelles nous pouvons nous reposer.
« Le contexte de crise (climatique, géopolitique, migratoire ou sanitaire) éclaire d’un jour nouveau l’exigence de responsabilité pour notre génération : engager maintenant les projets de stockage tant que nous le pouvons. »
Un vœu pour les 30 ans à venir ?
Notre objectif est avant tout de poursuivre notre mission dans la lignée des trente années précédentes, de rester ce que nous avons toujours été : un opérateur industriel public rigoureux et responsable pour gérer les déchets radioactifs français.
Notre exemplarité se traduit dans la sûreté de nos installations. C’est notre maître mot depuis 30 ans et ça le sera encore demain. Mais cette sûreté n’est pas un acquis sur lequel nous pouvons nous reposer. Il nous faudra conserver une posture d’ouverture et de questionnement. Celle-ci nous servira également de moteur pour innover et nous adapter dans ce monde qui évolue très vite.
Notre expertise et notre rigueur scientifique et technique devront aussi se maintenir au même niveau d’excellence grâce à une politique de R&D en phase avec nos activités et le développement incrémental de nos projets. C’est là le socle de notre légitimité.
Notre ancrage dans la société et dans nos territoires d’accueil demeurera par ailleurs un axe essentiel de notre développement. Cela passe par une approche résolument humaine et humble, ainsi qu’un dialogue permanent avec tous les publics. C’est la clé de voûte pour construire et développer collectivement nos projets et installer une confiance durable.
Enfin, si le projet est autorisé, nous avons devant nous un objectif de taille : réussir les prochaines étapes de réalisation, en particulier la phase industrielle pilote. Cette étape majeure va nous permettre de tester les fonctionnalités techniques, organisationnelles et de gouvernance de Cigéo, en conditions réelles, durant les premières années de construction et de fonctionnement. Ces éléments permettront également au Parlement de fonder sa décision sur les conditions de poursuite du stockage.