Des micro-ondes pour recycler les bétons très faiblement radioactifs
Recycler les bétons très faiblement radioactifs, tel est l’objectif du projet CYBER, un des lauréats de l’appel à projets lancé par l’Andra et l’Agence nationale de la recherche (ANR), avec le soutien du programme d’Investissements d’Avenir. Un projet innovant qui propose de séparer les différents composants du béton.
C’est au Centre industriel de regroupement et de stockage (Cires) de l’Andra dans l’Aube que sont stockés les déchets radioactifs de très faible activité (TFA), constitués essentiellement de gravats, terres et ferrailles issus de la déconstruction ou de l’assainissement d’installations nucléaires. Selon l’Inventaire national des matières et déchets radioactifs, le démantèlement de ces installations en fin de vie va engendrer un volume croissant de déchets TFA, volume qui pourrait excéder les capacités de stockage du Cires d’ici 2035. Comment alors limiter les volumes à stocker et optimiser les capacités du centre ? Parmi les différentes solutions étudiées, celle proposée par le projet CYBER ouvre d’intéressantes perspectives : le recyclage des bétons TFA.
Des micro-ondes pour faciliter le recyclage
Afin d’explorer cette idée, la société Séché Eco Services, spécialiste du traitement et du stockage des déchets conventionnels, s’est associée au Bureau des recherches géologiques et minières (BRGM) et à la PME Sairem, spécialiste international des micro-ondes et des hautes fréquences.
Le principe du projet CYBER consiste à séparer les différents composants des gravats de béton – les granulats et la pâte de ciment – afin de pouvoir les recycler. « Les recherches scientifiques ont montré que la radioactivité se concentre essentiellement dans la pâte de ciment si bien que la séparation pâte de ciment/granulats pourrait permettre de récupérer des granulats décontaminés », indique Xavier Bourbon, coresponsable du suivi du projet à l’Andra. Toutefois, pour réaliser cette séparation, un simple concassage suivi d’un triage n’est pas suffisant.
L’idée de CYBER est ainsi d’utiliser en complément un four à micro-ondes industriel – permettant d’isoler les composants du béton les plus radioactifs. « Le principe est le même que lorsque vous réchauffez votre assiette de soupe avec votre four à micro-ondes, détaille Jean-Sébastien Flinois, coresponsable du suivi du projet à l’Andra. Les molécules d’eau sont excitées par les micro-ondes : la soupe chauffe mais l’assiette, si elle n’est pas poreuse ou ne contient pas d’eau, reste froide. Dans le béton, les molécules d’eau se trouvent essentiellement dans la pâte de ciment. Quand on passe le béton au four à micro-ondes, l’excitation des molécules d’eau va fragiliser les interfaces entre la pâte de ciment et les granulats. Ainsi, lorsque l’on va concasser le béton, les granulats, quelle que soit leur taille, seront plus facilement séparés de la pâte de ciment. »
Vers une phase pilote du projet
Initié il y a maintenant deux ans, CYBER entre aujourd'hui dans une nouvelle phase. Les premiers essais menés jusqu’à présent avec de petits échantillons de béton ont permis de valider les paramètres du traitement, la difficulté étant en particulier d’envoyer une quantité suffisante d’énergie pour fragiliser le béton sans le faire exploser. À partir de mars 2019, la phase pilote va démarrer et plusieurs centaines de kilogrammes de béton non radioactif vont être traités afin de vérifier la bonne séparation entre la pâte de ciment et les granulats. Viendront ensuite les essais « à chaud » (avec du béton radioactif), dans un laboratoire spécialisé.
En parallèle, le groupe Séché va mener les études technico-économiques. « Différents éléments vont devoir être pris en compte : les dispositifs techniques à assembler comme le tapis d’alimentation, le concasseur, le four à micro-ondes, les dispositifs de tri granulométrique, les ventilations, l’isolation, etc. explique Bernard Rottner du groupe Séché, coordinateur du projet. Ensuite, l’évaluation économique sera cruciale, car nous devons arriver à un processus moins onéreux que le stockage. »
Créer une filière économique et durable
Le volume de gravats qui pourraient être recyclés est modeste au regard, par exemple, des millions de mètres cubes générés chaque année par l’industrie du bâtiment : environ 8 000 à 10 000 m3, soit l’équivalent de trois grandes piscines olympiques par an. Pourtant, le développement d’une filière industrielle viable est possible.
Même s’ils resteront classés en déchets de très faible activité (TFA)(1), les granulats décontaminés pourraient servir par exemple de remblai pour les alvéoles de stockage de déchets TFA du Cires ou à la fabrication de bétons haute performance pour l’industrie nucléaire. La pâte de ciment, quant à elle, pourrait être exploitée pour la fabrication de béton afin de remplir et stabiliser certains colis de déchets radioactifs avant leur stockage. « Nous pourrons proposer un service de recyclage aux producteurs de déchets radioactifs, avec une installation transportable sur sites, espère Bernard Rottner. En France, bien sûr, mais également à l’étranger. »
(1) En France, la règlementation autorise une réutilisation des déchets radioactifs uniquement dans le domaine nucléaire.
Pour en savoir plus : fiche projet CYBER
28 projets innovants pour la gestion des déchets de démantèlement
L’appel à projets lancé par l’Andra et l’ANR avec le soutien du Programme d’investissements d’avenir a pour but de faire émerger des solutions innovantes pour optimiser, en amont du stockage, la gestion des déchets radioactifs issus du démantèlement des installations nucléaires. 28 projets sont soutenus dans ce cadre. Ils portent sur quatre thématiques : la caractérisation des déchets, leur tri et traitement, les nouveaux matériaux de conditionnement, et enfin un volet sciences sociales sur l’innovation et la société.