Suivis apicoles de l’OPE : ce que les abeilles nous apprennent
Pour couvrir son vaste territoire d’étude, l’Observatoire pérenne de l’environnement (OPE) de l’Andra peut compter sur les meilleures sentinelles naturelles qui soient : les abeilles. Depuis plus de dix ans, des suivis apicoles permettent de recueillir des informations utiles pour connaître l’état actuel de l’environnement de Cigéo, mais aussi son évolution future.
C’est en 2007 que l’Andra a installé l’OPE sur un territoire d’observation de 900 km² à la limite de la Meuse et de la Haute-Marne. Depuis 2009, l’OPE réalise, entre autres, des suivis apicoles sur un territoire de référence de 240 km² avec le CETAM-Lorraine(1). Entre 2011 et 2015, des ruches munies de capteurs (température, humidité, comptage des entrées et sorties) ont été placées à cinq emplacements stratégiques. En 2020, un sixième rucher, situé à 18 kilomètres au sud-est de Chaumont, hors de l’influence du projet Cigéo, a été choisi comme « rucher témoin ».
Soigner, entretenir, prélever et analyser
« Les suivis apicoles impliquent de soigner les colonies d’abeilles, d’entretenir et de surveiller les ruches pour récolter leurs productions, explique Jean-Patrick Verron, ingénieur environnement à l’Andra. De mars à octobre, les ruches sont inspectées toutes les deux à trois semaines pour vérifier la santé des abeilles, les réserves de miel et de pollen. Du pollen est récolté tous les quinze jours, et du miel au printemps et en été. En fin de saison, les abeilles sont nourries pour l’hiver et quelques dizaines sont prélevées. »
Le CETAM-Lorraine effectue ensuite des analyses sur ces prélèvements : identification des espèces de plantes dans le pollen, composition florale et qualité du miel, mesures sur les ailes des abeilles pour déterminer leur race et le niveau d’hybridation.
L’AVIS DE PAUL SCHWEITZER, DIRECTEUR ET CHARGÉ DE RECHERCHES AU CETAM-LORRAINE
« L’intérêt de ces suivis sur le long terme est de comprendre l’évolution des relations entre les plantes et les abeilles. C’est un phénomène très lent, et c’est grâce aux prélèvements les plus anciens que nous savons que cette évolution est significative. Nous savons aussi qu’elle tient moins au changement climatique, dont les effets se constateront à plus long terme, qu’à l’apparition de plantes invasives ou à l’introduction de nouvelles cultures sur le territoire. »
Les enseignements
Depuis 2010, l’étude de la morphométrie des abeilles a en effet révélé des phénomènes d’hybridation qui tendent à homogénéiser les colonies vers l’abeille noire(2), malgré l’introduction d’autres races comme l’abeille Buckfast. Quant aux productions de miel de la zone OPE, elles fluctuent au fil des ans en fonction des conditions climatiques et des pratiques apicoles(3). L’année 2018 a ainsi été un très bon « cru ».
Par ailleurs, les productions apicoles confirment être de bons indicateurs des évolutions de leur environnement proche. Enfin, l’analyse des pollens a permis de réaliser un premier référentiel de la zone OPE. Il informe sur les espèces de plantes visitées par les abeilles et sur le cycle de la végétation.
En poursuivant ces travaux et en comparant toutes les données recueillies à celles d’autres suivis, il sera possible de mieux connaître les évolutions de l’environnement.
« L’évolution du climat, de la végétation, des pratiques humaines, mais aussi l’émergence de nouvelles activités socio-économiques et l’afflux de nouvelles populations sur la zone OPE avec l’implantation de Cigéo auront des influences sur l’environnement, explique Jean- Patrick Verron. D’où l’intérêt de poursuivre ces suivis apicoles au cours des prochaines décennies. »
LE TAXON, KÉSAKO ?
Un taxon est un groupe d’organismes vivants classés ensemble, car ils partagent des caractéristiques communes. Cela permet de mieux comprendre et organiser la diversité du vivant, comme lorsqu’on regroupe les espèces en familles ou en genres.
Répondre aux questions de demain
Tous les échantillons des ruches sont cryogénisés, c’est-à-dire conservés à une température comprise entre - 150 °C et - 196 °C dans l’Écothèque de l’OPE, permettant de répondre aux questions futures grâce à des technologies avancées. « Demain, nous pourrons croiser ces informations avec de nombreuses données environnementales (météorologie, qualité de l’air, qualité des sols, rayonnement, etc.) et réaliser des analyses plus précises pour expliquer des phénomènes que nous ne comprenons pas encore aujourd’hui ou qui apparaîtront dans les prochaines années », espère Jean-Patrick Verron.
(1) Centre d’études techniques apicoles Moselle-Lorraine.
(2) Sous-espèce de l’abeille domestique européenne, la plus répandue en France.
(3) Les miels de la zone OPE sont essentiellement des miels de fleurs (68 %), de colza (15 %) ou de tilleul (5 %).
L’ABEILLE, BIO-INDICATEUR ULTIME
Animal domestique et sauvage, l’abeille est 100 % végétarienne et toutes ses ressources alimentaires proviennent de la végétation. Son étude et celle de ses productions (pollen, miel, gelée royale, propolis, cire) reflètent donc strictement les conditions environnementales de son aire de butinage.
C’est la raison pour laquelle les suivis apicoles sont l’un des outils privilégiés de l’OPE.