Au festival Pariscience, les lycéens de Bar-sur-Aube filment les déchets radioactifs
Aiguiser son regard sur un sujet scientifique d’actualité… c’est tout un apprentissage. Le 11 octobre 2019, Nina, Paul, Djomaël et les autres ont "pitché" leur projet de documentaire devant le jury professionnel du Festival international du film scientifique Pariscience. Leur sujet : les déchets radioactifs. Récit d’une aventure dans les coulisses du petit écran…
À l’heure où les médias se démultiplient et où l’information, bonne ou fausse, est omniprésente, quels métiers et quels défis se cachent derrière la réalisation, la production et la diffusion de films documentaires ? Depuis trois ans, la séance "les coulisses du petit écran" proposée par le festival Pariscience aux collèges et lycées volontaires, est l’occasion pour les jeunes de se frotter à l’univers, souvent peu connu, du documentaire scientifique.
Le principe : une heure de présentation des métiers et des parcours des professionnels membres du jury, puis, pour chaque classe, une présentation courte (ou "pitch") d’un projet de film préparé en classe sur un sujet de leur choix. Une séance ludique d’éducation à l’information, en somme.
"L’atelier rencontre de plus en plus de succès auprès des profs, confie Hélène Bodi qui gère la programmation scolaire du festival. L’idée est de nous adresser aux élèves comme s’ils étaient des professionnels." Au programme de cette nouvelle édition : agriculture urbaine, réchauffement climatique… et déchets radioactifs, donc.
« On se pose plein de questions sur la radioactivité »
Le projet des lycéens aubois, intitulé "Déchets radioactif : un cycle sans fin ?" est l’aboutissement d’un travail d’équipe mené tambour battant avec Geneviève Métrich et Jean-Jacques Breniaux, leurs professeurs d’audiovisuel. L’Andra, partenaire de longue date de Pariscience, avait contacté la jeune femme en juin. S’atteler avec ses élèves à un projet de film sur les déchets radioactifs ? L’idée l’enthousiasme tout de suite. Le genre fait a priori "moins rêver les jeunes", mais elle y voit l’occasion "d’aiguiser leur regard". Comprendre son sujet, trouver son angle, aller à la pêche aux infos… concevoir un documentaire relève en effet de l’enquête journalistique.
Mais que dire des déchets radioactifs ? Pour Fabien, ce sujet suscite d’autant plus l’intérêt que la plupart des élèves vivent à proximité des centres de l’Andra dans l’Aube. "Forcément, on connaît un peu… et beaucoup de gens se posent des questions. Réaliser un projet en groupe sur ce thème-là c’est intéressant parce que ça nous a amenés à faire beaucoup de recherche dessus, donc on se cultive et ça nous permet aussi d’avoir un sens critique dessus." Et puis, dans le contexte des récentes manifestations des jeunes pour le climat, le sujet est d’actualité, "mais il est beaucoup trop flou, surtout pour les jeunes qui sont ignorants voire trop influencés par la fiction", constate Nina. Jérôme quant à lui estime que les déchets radioactifs, ça fait "un peu peur". "On se pose plein de question sur la radioactivité…". Bref, sujet "compliqué", concède Geneviève Métrich. "Je ne suis pas scientifique. Pour moi le nucléaire se limite à Tchernobyl et Hiroshima. Mais j’ai pensé qu’il fallait y aller, ne pas éviter le sujet, au contraire, il faut en parler. Libre à chacun de se faire une idée."
Les déchets radioactifs, un sujet grand public ?
En octobre, l’Andra invite la classe à visiter les centres de stockage de l’Aube, puis c’est un ingénieur sûreté qui vient présenter son métier aux élèves. L’équipe de production se met alors en place, chacun choisissant son rôle par affinité : journaliste d’investigation, cadreur, monteur, réalisateur, graphiste. "Ils se sont très vite pris au jeu, poursuit Geneviève Métrich. Ils ont découvert un monde qu’ils ne connaissaient pas et qui les questionne."
Les élèves ont un objectif : être compris du grand public. "Après quelques explications sur l’utilisation de la radioactivité, le documentaire va raconter le périple d’un déchet radioactif banal, celui d’un gant en latex, jeté par le docteur Michel, radiologue. Ce projet va se concentrer sur l’utilisation plus commune que l’on peut avoir de la radioactivité", peut-on lire dans leur note d’intention.
"Les déchets radioactifs ce n’est pas nécessairement ce que tout le monde pense. On imagine de gros trucs avec plein de déchets dedans. On ne pense pas forcément aux objets du quotidien", explique Sheurley. C’est elle qui a eu l’idée de raconter le voyage, un peu chaotique, d’un gant d’examen depuis sa mise au rebut jusqu’à son stockage dans un centre de l’Aube. "Notre histoire pourrait permettre d’ouvrir l’esprit des gens et d’avoir une autre vision sur la radioactivité."
Donner envie d'aller plus loin...
Ce 11 octobre, le sérieux des jurés contrastait un peu avec la décontraction des élèves. Mais la pression est montée quand ils ont été invités à rejoindre la scène pour "pitcher" leur projet…
"Je suis un gant vinyle non stérile pour examen médical, de taille 6. Je ne suis pas composé de latex, mais quand on m’appelle c’est le surnom qu’on me donne…" Ainsi débute le "teaser" vidéo réalisé par l’équipe et projeté dans la salle de l’Institut du Globe… devant un public, plutôt ébahi.
Qualité de la réalisation, originalité et rigueur de la narration : la projection fait mouche. C’est en tout cas, l’avis des jurés, dont Christine Le Goff. Productrice de documentaires depuis plus de 20 ans, elle est à l’origine de films qui sont des références du genre. "C’est un sujet courageux, et l’histoire du gant : quelle idée géniale !" Car il y a "manière et manière de raconter les déchets radioactifs", explique-t-elle. Si ce sujet, controversé, a souvent fait l’objet de documentaires d’investigation, le projet décalé des élèves détonne. "Avec ce teaser, ils touchent à autre chose qu’à la vulgarisation scientifique… ils font du cinéma." Même réaction du côté de Rodolphe Guignard, directeur des programmes à RMC Découvertes. "Le projet était très pro, avec une promesse limpide." Anne Georget, autrice, nuance en invitant les lycéens "à bien recouper leurs sources".
L’idée ne leur aurait-elle pas été soufflée ? "Pas du tout. On leur a suggéré de construire une histoire, mais on les a laissés totalement libres de trouver celle qu’ils voulaient raconter, réagit Geneviève Métrich, qui ne cache pas sa fierté devant la maturité et l’implication de ses élèves. Ils n’ont pas basculé dans le “c’est bien ou c’est mal”. Ils ont compris par eux-mêmes que ce n’était pas l’objet du projet. Le but c’était d’informer… et de s’informer eux."
Le documentaire, une voie d’accès à une meilleure compréhension du monde ? Christine Le Goff en est convaincue : "Un film en lui-même ne peut pas contenir toute la complexité d’un sujet, par contre il peut ouvrir une porte, donner envie d’aller plus loin. Réaliser un documentaire, c’est apprendre qu’il y a des points de vue, une multitude d’approches possibles…. C’est finalement appréhender le monde avec un sens critique".
Carton plein donc, pour la classe de spécialité audiovisuel – unique dans le département – de Bar-sur-Aube. Les lycéens quittent Paris satisfaits : "on s’est tous beaucoup investis sur ce projet. C’est vraiment une récompense pour notre travail", sourit Sheurley.
Mais ce n’est qu’une étape de franchie, puisque chacun devra maintenant produire, individuellement, un petit documentaire sur une thématique liée à la gestion des déchets radioactifs. Transport, sûreté, surveillance de l’environnement, radioprotection… ils n’ont que l’embarras du choix. Affaire à suivre !