Concevoir un stockage sûr pour un million d’années : comment faire ?
Pour concevoir ses centres de stockage, l’Andra doit faire la preuve que les solutions qu’elle mettra en œuvre seront sûres sur le long et le très long terme. Comment évaluer le comportement et démontrer la sûreté d’un stockage sur une échelle de temps allant du siècle au million d’années ? Grâce à la simulation numérique, un programme important de la direction Recherche & Développement de l’Andra. Rencontre avec Patrick Landais, son directeur.
La simulation numérique, c’est quoi ?
La simulation numérique, c’est un moyen de décrire, expliquer ou prévoir des phénomènes qui existent ou existeront. Elle utilise des modèles physiques et mathématiques qui sont alimentés par des données acquises sur le terrain, en laboratoire et dans la littérature scientifique. C’est souvent le seul moyen d’obtenir des résultats auxquels l’expérience seule ne permet pas d’accéder du fait de la complexité et de l’interaction des phénomènes à étudier ou des grandes échelles de temps et d’espace sur lesquelles ces phénomènes se déroulent.
“Ces modèles sont une représentation des phénomènes que nous souhaitons étudier. Ils nous permettent de mener des expériences virtuelles qui, en temps réel, se dérouleraient sur des milliers voire des millions d’années, ou d’analyser des processus qui intéressent de très grands volumes de roche ou des territoires très étendus. La simulation numérique nous permet de prendre en compte les différents éléments qui entrent dans la conception du stockage : les déchets, les matériaux de construction et de conditionnement mais aussi le milieu naturel. Grâce à nos outils, nous pouvons étudier toutes sortes de phénomènes liés, par exemple, à la chaleur, au déplacement de l’eau ou aux échanges chimiques et analyser comment ces composants se comportent aujourd’hui et comment ils évolueront dans le futur. Tout ceci alimente et enrichit notre réflexion et nous permet de bâtir nos projets de stockage en prenant en compte les évolutions futures”, explique Patrick Landais.
Simuler, à partir de quoi ?
“C’est uniquement lorsque l’on a de bonnes données et une compréhension de la physique des processus que l’on peut faire de la bonne simulation numérique ! ” résume Patrick Landais. Par exemple, dans le Laboratoire souterrain implanté en Meuse/ Haute-Marne, l’Andra regroupe des équipes de scientifiques qui conduisent quotidiennement des expérimentations et des campagnes de mesures sur différentes thématiques comme le contexte géologique et hydrologique, les interactions entre ouvrages et milieu géologique, les matériaux et le transfert des radio nucléides.
“Nos géologues, géomécaniciens, hydrogéologues, physiciens, chimistes, biologistes, mathématiciens, informaticiens travaillent en collaboration avec plus de 80 laboratoires pour acquérir des données de qualité. Pour mettre en œuvre les calculs numériques, nous nous appuyons sur des mesures et des expérimentations et également sur la littérature scientifique et sur l’observation et l’analyse de milieux naturels ayant les mêmes caractéristiques que celles de nos sites. Par ailleurs, nous ne sommes pas les seuls à plancher sur ces sujets via la simulation. L’Andra est notamment partenaire du groupement national de recherche MOMAS(1) aux côtés d’EDF, du CEA, du BRGM, du CNRS et de l’IRSN. Ces travaux en collaboration favorisent le partage et le retour d’expérience qui sont garants de l’amélioration des performances”, conclut Patrick Landais.
(1) Modélisations mathématiques et simulations numériques liées aux problèmes de gestion des déchets nucléaires.
Qu’est-ce qu’un code de calcul ?
C’est un programme informatique qui résout des équations mathématiques permettant de simuler des phénomènes physiques.
Témoignage : Michel Kern (CNRS)
Michel Kern est chargé de recherche à l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria) et directeur adjoint de la Maison de la simulation (un partenariat Inria, CEA, CNRS, universités de Paris Sud et de Versailles Saint-Quentin). L’Inria et l’Andra ont signé un accord de partenariat sur la simulation numérique.
Sous les termes « Analyse d’incertitudes et de sensibilité » se cache une idée assez simple. Pour faire de la simulation numérique, on part de données relevées sur le terrain ou qui sont le fruit d’expérimentations en laboratoire et qui ont des limites dans la précision.
Par exemple, lorsque l’on place des capteurs dans une couche géologique, on s’attache à les mettre en des points stratégiques pour avoir la mesure la plus représentative possible de tous les composants de la roche. Entre deux points de relevés, on fait une approximation en considérant que les valeurs ne changent pas entre ces deux points. Ceci constitue une incertitude.
L’enjeu de notre démarche est de savoir quelle est l’incidence qu’a cette incertitude sur les résultats. Aujourd’hui, on est capable de constater cette incertitude, de la quantifier, d’identifier sur quels paramètres elle est significative, c’est-à-dire ceux pour lesquels elle va modifier le résultat. On est alors à même de corriger ces imperfections avant de lancer une nouvelle simulation.
Cela peut consister à préciser une donnée ou à recommander de conduire d’autres expérimentations sur des paramètres sensibles pour affiner notre connaissance.
La simulation numérique, comment ça marche ?
L’Andra développe des outils et investit dans des matériels qui lui permettent de réaliser des simulations numériques sur ses problématiques spécifiques. La preuve par l’exemple !
Le maillage le plus fin possible
“Pour effectuer une simulation, on a recours à ce que l’on appelle le maillage. Cela consiste à découper en petits morceaux ce que l’on veut observer pour en avoir la vision la plus détaillée possible. Dans chaque maille, le code de calcul permet de savoir ce qui se passe. Avec les outils dont dispose l’Andra aujourd’hui, on peut faire 10 millions de mailles là où, il y a cinq ans, on ne pouvait en faire qu’un million.”
Marc Leconte, docteur en dynamique des fluides et des transferts.
Un bouquet d’outils pour faire les calculs
“S’appuyer sur des outils de simulation numérique pour mener des études de performance ou de sûreté implique qu’on soit absolument sûr de leur pertinence et de leur performance. Nous travaillons donc à partir de logiciels existants qui ont fait leurs preuves et nous les enrichissons. Nous avons besoin de disposer d’un panel d’outils afin de choisir celui qui répond avec précision à nos exigences et à nos impératifs de qualité.”
Guillaume Pépin, adjoint au chef de service Évaluation et Analyse de la Performance.
Des calculateurs puissants pour gagner du temps et de la précision
“Tous les propriétaires de smartphone peuvent attester des progrès qui ont été accomplis pour produire des ordinateurs plus petits et plus performants. Aujourd’hui, l’Andra bénéficie de ces avancées. Grâce à la miniaturisation, on peut utiliser plus de processeurs pour un même logiciel. On sait aussi rassembler et exploiter les données issues de plusieurs machines qui effectuent chacune un bout de calcul. Cela nous fait gagner du temps mais surtout, cela nous permet de procéder à des calculs bien plus complexes, et, là où l’on ne pouvait faire interagir que deux données entre elles, on peut maintenant en mouliner vingt ! ”
Bernard Vialay, ingénieur calculs scientifiques.