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Des objets radioactifs en héritage

Chaque année, l’Andra collecte près d’une centaine d’objets radioactifs chez des particuliers. Transmis de génération en génération, souvent oubliés dans une cave ou un grenier, ils sont des témoins de l’histoire des sciences et de la radioactivité. Focus historique sur des objets radioactifs d’un autre temps, avec Renaud Huynh, directeur du Musée Curie.

Marie Curie mesurant un échantillon radioactif (1923). ©M. Benoit. Source : Musée Curie (coll. ACJC)

À Paris, pousser les portes du Musée Curie, c’est un peu marcher sur les traces de « la famille aux 5 prix Nobel ». Dans ce laboratoire en partie resté intact, où Marie Curie, Irène et Frédéric Joliot-Curie ont mené des expériences scientifiques qui ont marqué l’histoire, le visiteur remonte le temps.

De la découverte de la radioactivité jusqu’à ses premières applications médicales, en passant par les « folles années » d’engouement commercial pour le radium… l’exposition d’objets anciens scientifiques et parfois plus anecdotiques en dit long sur la manière dont la radioactivité a fait avancer la science et changer la société.

 

De la physique à la médecine

Car ce phénomène, découvert par Henri Becquerel en 1896, a en effet généré, tout au long de son histoire, de nombreux objets aux applications très diverses. En premier lieu desquels, des appareils et des instruments scientifiques d’une grande variété, conçus pour comprendre les rayonnements et la nature de la radioactivité. Ils constituent une partie de la collection du Musée Curie. « Il s’agissait de détecter et de mesurer la radioactivité », explique Renaud Huynh.

À côté des instruments de laboratoire classiques, on trouve aussi des appareils développés spécialement pour cette nouvelle discipline qu’est l’étude de la radioactivité, comme le quartz piézoélectrique de Pierre Curie ou les instruments de la « Méthode Curie » (cf. photo 1).

« Notre matériel scientifique date pour l’essentiel de la première moitié du XXe siècle et plus particulièrement de l’entre-deux-guerres et des activités de Frédéric et Irène Joliot-Curie. Il provient directement du laboratoire Curie de l’institut du Radium. »

Photo 1 : Pour mesurer la radioactivité, le système expérimental des Curie, la « Méthode Curie » incluait une chambre d'ionisation, un électromètre à quadrants et un quartz piézoélectrique. ©Uriel Chantraine / Musée Curie
Photo 2 : Apareil de röntgenthérapie vers 1929. ©Musée Curie

En 1901, Pierre Curie publie un article décrivant les effets physiologiques du radium et propose des petites sources radioactives aux médecins de l’hôpital Saint-Louis. C’est le début des applications thérapeutiques de la radioactivité qu’on commence à utiliser en dermatologie et pour le traitement de certains cancers.

« Dès 1904, un industriel va transformer son usine de Quinine en usine de radium pour produire de nouveaux appareils, mais aussi des sels de radium utilisés par les médecins », raconte Renaud Huynh.

Créé à la veille de la Première Guerre mondiale, l’Institut du Radium – qui regroupe les laboratoires Curie et Pasteur – se structure autour des recherches liées aux rayonnements et à leur usage pour soigner le cancer. C’est dans les années 1920, avec la création de la Fondation Curie que se développent les premières techniques d’irradiation externes, rendues possibles grâce aux appareils de télécuriethérapie ou de röntgenthérapie (cf. photo 2).

Comment Marie et Pierre Curie mesuraient la radioactivité ? La réponse en images au Musée Curie

Le « rayonnement » du radium

Photo 3 : De la peinture au radium est présente dans le vernis phosphorescent avec lequel ont été peintes les aiguilles, les chiffres et les graduations de ce réveil. ©Sacha Lenormand/Musée Curie

Mais le phénomène de la radioactivité fait véritablement son entrée dans l’espace public, en 1903, à la suite du prix Nobel que partagent Pierre et Marie Curie avec Henri Becquerel pour leurs recherches sur la radioactivité.

Très vite, le radium se voit attribuer des vertus liées à ses effets curatifs. « Lorsque Pierre Curie explique en 1901 que les eaux minérales sont naturellement radioactives parce qu’elles traversent les couches géologiques, on voit apparaître des publicités pour les cures thermales ou les eaux minérales vantant les bienfaits de la radioactivité, auréolée d’une image de bien-être… On dit aussi que le radium produit une énergie infinie. Des caricatures, des BD reprennent cette idée en imaginant qu’avec deux pastilles de radium on va pouvoir faire cuire son repas ! Tout un tas de fantasmes émergent… on n’est pas très loin de l’univers de Jules Verne ! », raconte Renaud Huynh.

C’est ainsi que les secteurs industriels, l’horlogerie et la cosmétique en particulier, se réapproprient les découvertes scientifiques des Curie… et que de nouveaux objets aux pouvoirs « magiques » font leur apparition. Des peintures luminescentes au radium sont utilisées pour faire briller dans l’obscurité les chiffres des cadrans d’avions ou les aiguilles de montres ou de réveils (cf. photo 3).

Photo 4 : Malgré l’interdiction du radium en 1937, la marque cosmétique Tho-Radia, créée en 1933, existera jusqu’aux années 1960. ©Musée Curie

D’infimes quantités de radium sont aussi ajoutées aux crèmes de beauté ou aux produits pharmaceutiques (cf. photo 4)… tandis que des appareils domestiques, émanateurs de radium permettent de produire de l’eau radioactive pour des bains ou des boissons – ce qu’on appelait les  « cures de Jouvence des fontaines au radium » ! « Il était possible de se procurer du radium, à condition d’avoir les moyens. C’était un argument de vente très lucratif », précise le directeur du Musée Curie.

Dans les années 1920, cette matière rare envahit le quotidien, alors que, parallèlement, la communauté scientifique et médicale prend conscience de ses dangers. En 1937, l’utilisation du radium est définitivement proscrite dans les produits manufacturés et l’industrie du radium tombe en désuétude.

Présentés au Musée Curie, ces objets radioactifs issus de ce que l’on appelle aujourd’hui « les années folles du radium » sont aussi parmi ceux que l’on retrouve aujourd’hui encore chez les particuliers. Considérés comme des déchets radioactifs, ils sont régulièrement collectés par l’Andra avant d’être définitivement pris en charge sur les centres industriels de l’Andra dans l’Aube.

 

Des témoins historiques… embarrassants

Si les objets exposés au Musée Curie possèdent une grande valeur patrimoniale, ils ne présentent bien sûr aucun danger sanitaire. Mais ils ne forment qu’une partie de la collection du Musée Curie… et des nombreux objets radioactifs d’intérêt historique dispersés dans d’autres institutions ou chez des particuliers qui en ignorent l’existence. « Au fil du temps, d’anciens chercheurs du laboratoire qui avaient conservé des objets sont venus nous les rapporter. Certains d’entre eux sont radioactifs – bien que très faiblement – et donc conservés dans des réserves avec toutes les précautions d’usage et sous la surveillance permanente d’un personnel compétent. La règlementation, très stricte en France depuis les années 1980, nous l’impose », détaille Renaud Huynh.

Collecte d'objets radioactifs chez Hélène Langevin-Joliot

Certains objets dont le caractère historique est indéniable sont ainsi conservés à l’abri des regards. C’est le cas notamment des carnets de laboratoire de Pierre et Marie Curie, conservés à la Bibliothèque nationale de France et considérés comme un trésor national. « Nous n’avons hélas pas pu les montrer au Panthéon, lors de l’exposition consacrée à Marie Curie en 2017 », déplore Renaud Huynh qui voit parfois disparaître des objets radioactifs historiques, comme une armoire ayant appartenue à Marie Curie et collectée par l’Andra en février dernier chez Hélène Langevin, petite fille de l’illustre scientifique. « Elle n’avait pas un intérêt patrimonial extraordinaire, mais c’était une armoire qui appartenait à Marie Curie et ça aurait pu arriver avec un instrument qui a servi à la découverte du radium ! Certains objets à forte valeur historique disparaissent ainsi par simple mesure de précaution, et c’est irréversible… »

Difficile de faire la balance entre le risque réel et l’intérêt patrimonial d’un objet, concède Renaud Huynh. Mais, parce que la mémoire matérielle joue un rôle fondamental dans la compréhension de notre histoire, « un débat mériterait d’être mené sur ce sujet délicat et passionnant ».

Pour en savoir plus sur le Musée Curie

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Et si vous trouviez un objet radioactif chez vous ?

L’Andra collecte chaque année une cinquantaine objets radioactifs produits lors des années phares du radium. Parmi ces objets figurent des minéraux de collection (monazite, autunite, etc.), des montres, des réveils, des fontaines au radium ou encore des objets au radium à usage médical, appelés Orum (aiguilles, sondes, plaques, etc.), retrouvés souvent chez d’anciens radiologues. Comment les reconnaître ? « Souvent, la présence de radium est inscrite sur l’objet », explique Raphaël Alonso technicien en assainissement des sites pollués et spécialiste en radioprotection et en mesure nucléaire à l’Andra. Un conseil si vous découvrez un objet radioactif : « le placer dans l’obscurité. Un objet fabriqué avant les années 1960 qui brille la nuit sans avoir été exposé à la lumière depuis au moins deux jours est vraisemblablement radioactif. Le mieux est d’emballer l’objet dans du plastique avec soin avant de l’isoler dans une pièce à l’écart. » Une demande de prise en charge gratuite de ces objets peut être faite auprès de l’Andra.

Identifier et faire enlever vos objets radioactifs (PDF 730.14 Ko)