À Ganagobie, plus qu’un chantier d’assainissement, un travail d’enquête
Depuis 20 ans, l’Andra assure, au titre de sa mission de service public, l’assainissement d’un ancien laboratoire pharmaceutique laissé à l’abandon par un entrepreneur peu scrupuleux. Résultat : de nombreux produits non identifiés… et un chantier aussi complexe qu’atypique. Retour sur un travail d’enquête au long cours.
Dans le village de Ganagobie, entre Manosque et Gap, dans les Alpes-de-Haute-Provence, une maison a priori banale est surnommée la « villa radioactive » : sur ce site, l'entreprise Isotopchim a produit, pour des laboratoires pharmaceutiques, des molécules marquées au carbone 14 (lire encadré) de 1986 à 2000, avant de déposer le bilan en abandonnant la « villa ». Les exploitants d’Isotopchim ne se sont pas embarrassés de précautions et ont laissé sur place des produits chimiques, liquides et solides, contaminés. « C'est la première fois que l'on était confronté à une telle pollution radioactive intentionnelle en France », souligne Nicolas Benoit, responsable du pôle d'assainissement des sites pollués par la radioactivité à l’Andra.
Carbone 14
Le carbone 14 est connu pour son utilisation dans la datation des vestiges archéologiques, mais il est également utilisé comme traceur pour suivre par exemple l’efficacité d’une molécule médicamenteuse en phase de développement. Isotopchim synthétisait ces molécules marquées pour les commercialiser aux industries pharmaceutiques.
Inventaire et premières évacuations
Au-delà du carbone 14, les éléments radioactifs utilisés dans le cadre de l’activité d’Isotopchim sont nombreux : du tritium, du phosphore, du fluor ou encore du soufre. « La plupart des chantiers sur lesquels nous intervenons sont d'anciens ateliers liés à l'utilisation du radium, le cas d'Isotopchim se distingue par un certain nombre de risques physico-chimiques. Quand nous sommes arrivés sur le site, il y avait quelques mètres cubes de produits chimiques liquides et près de 3 000 flacons de produits solides dont nous n’avions aucune information sur la composition », raconte Nicolas Benoit. Or l'absence d’information sur les produits chimiques utilisés empêche la prise en charge des déchets par les filières de gestion habituelles de l'Andra... et personne ne sait exactement ce que recèlent les locaux laissés à l’abandon ! Commence alors un long et minutieux travail de caractérisation chimique et radiologique…
Un premier inventaire est fait en 2003, qui permet d’évacuer une première partie des substances présentes, notamment les produits chimiques non radioactifs. Puis, de 2004 à 2016, de nouvelles analyses sont menées avec le CEA pour poursuivre l’évacuation des produits solides : « Le CEA est chargé d’analyser les produits solides afin de pouvoir détruire par incinération tous les produits radioactifs qui pouvaient l’être », explique Nicolas Benoit.
Quelque 70 m3 de déchets divers (matériels de laboratoire, paillasse, sorbonne...) sont pris en charge dans les centres de l’Andra, tandis que le Centre nucléaire de traitement et de conditionnement des déchets faiblement radioactifs, Centraco, de Cyclife France (dans le Gard), se voit confier la destruction de la moitié des produits chimiques liquides. Seulement la moitié ? Oui, car pour les tout derniers déchets, un mètre cube de déchets liquides et 40 kg de déchets solides, une nouvelle phase d’analyse, sur site, est nécessaire.
« Le chantier d’assainissement d'Isotopchim se révèle très long et complexe car on ne connaissait pas précisément la nature des produits chimiques et radioactifs présents »
Un vrai travail d’enquête
Cette opération, menée avec la société Curium, spécialiste de l’analyse et de la caractérisation chimique et radiologique, a nécessité d’installer un « laboratoire de campagne » à l'arrière du bâtiment. Désormais, tous les déchets restants sont dans une unique pièce, sécurisée, de la « villa radioactive ». Elle n’est accessible qu'en étant vêtu d'une combinaison protégeant de la contamination avec apport d’air respirable. Les opérateurs sortent par un sas de décontamination « où ils doivent vider une bombe de laque sur leur combinaison pour plaquer les particules radioactives et éviter de les transporter à l'extérieur de cette zone », explique Séverine Permingeat, chargée d'activités radioactivité nucléaire pour le laboratoire Curium.
Dans le laboratoire, des dispositifs appelés barboteurs contrôlent le taux de carbone 14 dans l'air ambiant. Les laborantins travaillent sous une hotte aspirante quand ils manipulent les flacons : ils y prélèvent des échantillons qui font l’objet d’analyses chimiques et radiologiques. « Notre objectif est d’évacuer les produits chimiques liquides vers les centres de l’Andra. Pour ce faire, la première étape a consisté à identifier les caractéristiques physico-chimiques des produits et leur comportement pour ne pas provoquer de réactions chimiques lors des assemblages », détaille Nicolas Benoit. Et lorsque des produits présentent les mêmes risques, les éléments identifiés sont préalablement regroupés afin de minimiser le nombre d’analyses à réaliser.
Ce travail minutieux permet de pré-assembler des produits de même famille pour ensuite les orienter vers les filières de gestion adéquates : stockage ou entreposage sur les centres de l’Andra dans l’Aube, traitement par incinération ou solidification sur le site de Centraco, avant leur envoi sur les installations de l’Andra.
Il faudra ensuite analyser la quarantaine de kilos de déchets solides restant sur le site afin d’acquérir leurs caractéristiques radiologiques et chimiques, qui à ce jour ne sont pas connues. « Ces mesures permettront de déterminer leur exutoire et les traitements nécessaires à effectuer sur ces produits afin de les orienter vers les filières de gestion adaptées, probablement en entreposage sur les installations de l’Andra », précise Nicolas Benoit. Les résultats des analyses sont attendus à l'été 2022, avec l'objectif visé de finaliser leur prise en charge dans les deux ans à venir.
Pour terminer de dépolluer les 500 m2 du site, et notamment le bâtiment du laboratoire, le chantier durera vraisemblablement jusqu’en 2025, tandis que le démantèlement du bâtiment – qui contient de l’amiante – est espéré pour 2028 ou 2029.
La sécurité, une priorité
Afin d’assurer la sécurité des lieux et prévenir les risques liés aux incendies dans la région, l’Andra est également en charge de l’entretien extérieur, dans la zone clôturée autour de l’installation. Des opérations de défrichage sont ainsi régulièrement réalisées.
À savoir
Lorsque le responsable d’une pollution radioactive est absent, insolvable ou s’il n’existe plus, c’est l’Andra, missionnée par la Commission nationale des aides dans le domaine radioactif (CNAR), qui prend en charge leur assainissement et la gestion des déchets radioactifs qui en découlent.