Joanna Badr, le béton sous haute surveillance
Dans le cadre de ses travaux de R&D, l'Andra accorde chaque année 6 à 7 bourses de thèses sur des thématiques scientifiques ou technologiques liées à la gestion des déchets radioactifs. Joanna Badr, 25 ans, fait partie des doctorants retenus en 2016 par la direction de la recherche et développement de l’Agence et mène sa thèse à l’université de Toulouse. Cette jeune ingénieure en génie civil travaille sur un nouveau capteur de la teneur en eau des bétons qui serait utilisé pour surveiller des ouvrages de stockage du projet Cigéo. Immersion.
Quel a été votre parcours jusqu’à l’Andra ?
J’ai obtenu mon diplôme d’ingénieur en génie civil à l’Université libanaise, puis j’ai poursuivi mon cursus avec un master en génie civil à l’université des sciences et technologies de Lille 1. Mes travaux de recherches en master consistaient à étudier la propagation des ondes dans les sols. Aujourd’hui, je suis en troisième année de thèse à l’université de Toulouse(1). À vrai dire, l’Andra intervient un peu par surprise – une bonne surprise – dans mon parcours. Au moment de candidater en thèse, j’avais sélectionné deux projets. J’ai été retenue pour les deux. Et j’ai finalement choisi le sujet qui m’intéressait le plus sur la conception et la réalisation d’un dispositif de capteurs électriques pour mesurer la teneur en eau du béton. Mais je ne savais pas, en candidatant, que ce projet était initié en partenariat avec l’Andra et qu’il était donc lié à la gestion des déchets radioactifs et notamment au projet Cigéo. Je dois dire que cela m’a d’autant plus motivée !
Que connaissiez-vous de la gestion des déchets radioactifs ?
J’avais entendu parler du projet Cigéo dans les médias. Savoir que j’allais approcher de très près ce projet, comprendre en quoi il consistait exactement, quels étaient ses objectifs, ses avantages et ses inconvénients… a attisé ma curiosité. De plus, pour un chercheur, travailler sur un projet industriel de cette ampleur est un challenge concret et forcément passionnant, autant d’ailleurs qu’un atout pour sa carrière.
Quel objectif poursuivez-vous dans le cadre du projet Cigéo ?
Cigéo a pour but de stocker des déchets les plus radioactifs à 500 mètres sous terre, dans une couche d’argile. Les déchets seront stockés non pas à même l’argile mais dans des ouvrages que l’on appelle « alvéoles ». Mon travail est d’imaginer un dispositif permettant de surveiller ceux en béton destinés aux déchets de moyenne activité à vie longue. Je m’intéresse plus particulièrement à la teneur en eau du béton car il s’agit d’un des paramètres qui intervient dans la durabilité de ce matériau.
Comment fonctionne votre dispositif ?
Il s’agit de capteurs électriques qui sont implantés en profondeur dans le béton. Ces capteurs sont composés de 28 électrodes plongées sur toute la profondeur du béton. Elles sont reliées à un système numérique de surveillance qui permet de suivre précisément la teneur en eau des ouvrages et la manière dont elle se comporte, comment elle se déplace…
Ce type de dispositif existe déjà pour étudier le comportement des matériaux sur leur surface. Mais ici, ce que nous cherchons à faire, c’est de pouvoir prendre des mesures d’une très grande précision dans la profondeur du béton. De plus, il faut que le dispositif soit suffisamment performant pour que notre système numérique garde le contact avec les électrodes, à 500 mètres sous terre !
Où en êtes-vous aujourd’hui ?
À ce jour, nous avons conçu et développé plusieurs prototypes qui donnent de très bons résultats. Nous allons maintenant leur faire subir toutes sortes de tests pour étudier leur résistance au temps, à la chaleur… en somme, la manière dont ils réagiraient en conditions réelles et selon différents paramètres.
Qu’est-ce qui fait selon vous l’intérêt de votre sujet et du travail de recherche plus généralement ?
Mon sujet repose sur deux dimensions : la conception d’un dispositif nouveau (son design, son développement) et l’expérimentation de ce dispositif. C’est tout son intérêt. Après la modélisation numérique de notre dispositif, nous passons en mode expérience… J’aime la dimension d’innovation inhérente à la recherche.
Contrairement à l’image un peu stéréotypée du chercheur solitaire, enfermé dans son laboratoire, le travail de recherche est très dynamique. On passe d’une expérimentation à une autre, on teste, on innove… La vie d’un chercheur est loin d’être monotone. Et surtout, son travail quotidien contribue à faire évoluer la science !
Vous avez choisi le génie civil, pourquoi ?
J’ai toujours voulu être ingénieure. Enfant, j’étais passionnée par toutes les sciences. Et je crois aussi que mon père rêvait d’avoir une fille qui ait réponse à tout (rires). Au cours de mes études, j’ai fait plusieurs stages en entreprise : en génie mécanique, électrique et civil. Finalement, le génie civil m’est apparu être l’environnement de travail le plus global. Pour être ingénieure en génie civil, il faut connaître toutes les disciplines. Et puis, j’aime être sur les chantiers, sur le terrain, inspecter, vérifier.
Où vous imaginez-vous dans quelques années ?
J’aimerais poursuivre ma carrière dans un service recherche et développement d’une grande entreprise – et pourquoi pas à l’Andra, si l’opportunité se présente – pour joindre les deux versants de mon profil : l’ingénierie et la recherche. Je m’imaginerais bien aussi écrire un livre. Je suis également très littéraire…. Au Liban, j’écrivais pour le journal étudiant et ça me manque ! Qui sait ? Peut-être une future reconversion (rires) ?!
(1) Thèse codirigée par le Laboratoire matériaux et durabilité des constructions de Toulouse et l’Institut français des sciences et technologies de l’aménagement et des réseaux (Iffstar), à Nantes.
Appel à projets de thèse : l’Andra recherche ses futurs doctorants
Chaque année, l’Andra lance un appel à projets de thèses auprès des laboratoires de recherche afin d’accorder des bourses d’étude à des doctorants scientifiques. Des propositions de sujets de thèses sur des thèmes généraux préalablement définis par l’Andra sont sélectionnées. Les choix sont effectués au regard de la pertinence, de la nouveauté, de l’originalité des sujets, de la robustesse scientifique de la démarche de recherche proposée, et des candidats.