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Du métro à Cigéo, quelles perspectives pour les grands projets ?

Hier le réseau autoroutier, aujourd’hui le métro du Grand Paris Express et demain le centre de stockage géologique Cigéo : les grands projets rythment l’histoire de l’aménagement du territoire français. Depuis quelques années, c’est pourtant un sujet qui anime les débats. Symbole de progrès pour certains, considérés comme « inutiles et imposés » pour d’autres, l’approche des grands projets doit-elle aujourd’hui être repensée ? Marie Baléo, ancienne responsable des études et des publications à La Fabrique de la Cité, a étudié la question et publié un rapport. Interview.

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Marie Baléo : Aujourd’hui responsable éditoriale au sein d’un think tank généraliste, j’ai commencé ma carrière dans le conseil en stratégie avant de rejoindre La Fabrique de la Cité, think tank des transitions urbaines, où j’ai occupé jusqu’en 2021 le poste de responsable des études et des publications. C’est à ce titre que j’ai piloté un groupe de travail sur les grands projets et la démocratie puis rédigé un rapport sur le même sujet, paru en 2020.

Qu’est-ce qui explique aujourd’hui le climat de contestation des grands projets ?

M.B. : Les causes sont multiples. Si les Trente glorieuses furent l’âge d’or des grands projets, c’est parce qu’il fallait moderniser la France de l’après-guerre ; aujourd’hui, le pays est largement équipé et l’opinion perçoit moins le besoin de grands projets. À cela s’ajoutent une crise de la démocratie née d’une défiance profonde vis-à-vis des institutions politiques, un individualisme croissant et donc une perte de sens de l’intérêt général, une diminution de la culture scientifique et une polarisation du débat public. Enfin, la préoccupation environnementale va croissant, conduisant parfois à contester par principe tout nouveau projet de grande ampleur.

Pourquoi, selon vous, est-ce important de réaliser de nouveaux grands projets en France ?

Travaux préparatoires du Grand Paris Express

M.B. : Transition écologique, lutte contre les effets du réchauffement climatique, révolution numérique et transformation du travail, métropolisation, vieillissement démographique… la France du 21ème siècle fait face à des défis majeurs qui ont en commun d’appeler la construction de nouveaux équipements et infrastructures. Pour les relever, elle devra notamment consentir d’importants investissements en matière d’infrastructures publiques, énergétiques et de mobilité (pour désenclaver certains territoires et accompagner la décarbonation des transports), de projets urbains ou encore de construction de logements.

Quels sont les facteurs pour réussir un grand projet et surmonter les blocages dans le contexte actuel ?

M.B. : Face à ce climat de contestation, il apparaît nécessaire, pour qu’un grand projet puisse aboutir, d’en expliquer le besoin avec pédagogie et transparence. L’autre dimension fondamentale est la préoccupation environnementale, qui devient aujourd’hui le nouveau référentiel des grands projets, à l’aune desquels ils sont systématiquement jugés par l’opinion, mais aussi, de façon plus générale, la prise en compte des intérêts des générations futures.

Est-ce qu’un grand projet comme Cigéo, répond à ces facteurs de réussite ?

Coupe illustrative du projet Cigéo

M.B. : À mon sens, tout à fait. L’Andra a mené de nombreuses concertations au niveau local et national avec les élus mais aussi avec l’ensemble des parties prenantes, sur des thèmes variés (aménagement du territoire, alimentation en énergie, transport des colis…), et s’est attachée à répondre aux demandes locales, qui souhaitaient que le projet s’accompagne d’un développement socioéconomique du territoire. En outre, par sa nature même, le projet est aiguillé par l’intérêt des générations futures. Preuve en est que le choix de la solution du stockage s’est fait au détriment d’une solution bien moins favorable aux générations futures, l’entreposage de longue durée, qui consiste à entreposer pendant quelques siècles les déchets les plus radioactifs (HA et MA-VL) dans des bâtiments adéquats en espérant que les progrès techniques à venir permettront de mettre au point une solution « miracle » à la question de leur gestion. Contrairement à la solution aujourd’hui retenue, cette stratégie aurait fait peser sur les générations futures la charge de la gestion définitive des déchets produits par les générations actuelles.

 

Est-ce que Cigéo est un grand projet comme les autres ? 

M.B. : Cigéo se distingue d’autres grands projets par la charge symbolique attachée à l’énergie électronucléaire et la peur et l’intense rejet que suscite le nucléaire de façon générale, alimentée par le souvenir qu’a l’opinion des accidents de Tchernobyl et Fukushima. Ce constat rend la pédagogie autour des grands projets liés au nucléaire d’autant plus nécessaire, d’autant que les appréhensions que suscitent le nucléaire sont à la mesure de l’incompréhension et de la méconnaissance dont il pâtit. On ignore, par exemple, en ce qui concerne Cigéo, que les déchets concernés sont certes issus pour un tiers de la production d’électricité nucléaire mais avant tout, aux deux tiers, de la recherche (en médecine, physique, agronomie), de la défense, de la médecine et de l’industrie non électronucléaire, dont personne ne songerait à mettre en cause l’utilité. 

Vous mettez en avant la réversibilité du projet dans votre rapport. Est-ce que ce principe est applicable à d’autres grands projets ?

Principe de réversibilité

M.B. : À ce jour, la réflexion autour de la réversibilité demeure l’apanage des acteurs de la filière nucléaire. Une telle démarche permettrait pourtant peut-être à d’autres types d’infrastructures de très long terme d’être mieux acceptées, en ouvrant la possibilité à nos descendants de revenir sur nos choix en fonction de leurs aspirations. De telles approches existent déjà avec certains projets urbains, au travers de l’urbanisme éphémère ou de la construction d’équipements ou de bâtiments réversibles. Elles supposent de prévoir a minima le démontage ou la déconstruction de l’ouvrage ou de l’équipement dès la phase de conception et de réfléchir à d’éventuels usages alternatifs.

Peut-être verra-t-on se généraliser à l’avenir, de la part des maîtres d’ouvrage et pour différents types de grands projets, des appels d’offres requérant des cahiers des charges qu’ils intègrent des provisions sur un éventuel démantèlement de l’infrastructure et une dépollution du site, par exemple. 

 

Pour en savoir plus...

Découvrir le rapport complet de Marie Baléo, Grands projets et démocratie : un guide pour l’action Retrouvez le dossier spécial du journal de débat Le Drenche sur les grands projets