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Nouveau nucléaire français : quels impacts sur la gestion des déchets radioactifs ?

Début 2023 s’est clôturé le débat public portant sur l’implantation de deux nouveaux réacteurs nucléaires de type EPR2 à Penly. Il s’agit de la première paire d’une série de six réacteurs qui, s’ils sont autorisés, devraient voir le jour d’ici 2044. La décision de lancer ces projets s’est accompagnée en amont d’un rapport(1) du gouvernement qui analyse les conditions du déploiement de ce nouveau parc nucléaire, incluant les conséquences sur la gestion des déchets radioactifs. Explications. 

(1) Intitulé « Travaux relatifs au nouveau nucléaire », le rapport est consultable sur en ligne.

 

Pour analyser l’impact des déchets radioactifs produits sur les filières de gestion en exploitation ou en projet, l’Andra a retenu l’hypothèse d’une mise en service des six nouveaux EPR2 échelonnée, par paires, entre 2035 et 2044, avec une durée d’exploitation de soixante ans.

L’évaluation préliminaire de l’Agence ne préjuge pas des processus réglementaires et démocratiques requis pour la création de ces nouveaux réacteurs, ainsi que de ceux requis pour la gestion des déchets radioactifs induits. 

Des déchets bien identifiés

Les déchets générés par les nouveaux réacteurs de type EPR2 ont des caractéristiques similaires à ceux déjà produits :

  • par le parc actuel composé de 56 réacteurs à eau sous pression (REP). Il s’agit en majorité de déchets de très faible activité (TFA) et de faible et moyenne activité à vie courte (FMA-VC), produits notamment lors d’opérations de maintenance ou lors de leur exploitation courante, mais également de déchets de moyenne activité à vie longue (MA-VL) et de haute activité (HA) issus du retraitement des combustibles usés ;
  • par l’EPR de Flamanville qui entrera prochainement en service, et dont les futurs déchets MA-VL et HA figurent dans l’inventaire de référence du projet de stockage géologique Cigéo, tandis que les futurs déchets FMA-VC et TFA ont fait l’objet d’échanges préalables en vue de leur prise en charge par le Centre industriel de regroupement, d'entreposage et de stockage et par le Centre de stockage de l'Aube.

La nature et les volumes des déchets les plus radioactifs, les MA-VL et les HA, dépendent des stratégies de retraitement mises en œuvre pour les combustibles usés : multi-recyclage, mono-recyclage ou encore arrêt du recyclage (voir encadré). L’impact de la mise en service de nouveaux réacteurs sur les filières de gestion de déchets radioactifs a donc été examiné pour chacune de ces stratégies de retraitement. 

 

Stratégie de retraitement des combustibles usés : de quoi parle-t-on ?

La politique énergétique française prévoit le retraitement, ou recyclage, des combustibles usés après leur utilisation dans les réacteurs nucléaires. Cette opération permet d’extraire le plutonium et l’uranium appauvri, dans la perspective de les ré-utiliser pour la fabrication de nouveaux combustibles.  

Peuvent être envisagé : 

  • le « mono-recyclage », qui consiste à ne retraiter que les combustibles usés de type UNE (Uranium naturel enrichi), combustibles qui sont en grande partie utilisés par les réacteurs actuels. Le retraitement est assuré par une usine du groupe Orano, basée à La Hague.
  • le « multi-recyclage », qui consiste à retraiter la totalité des combustibles usés des centrales nucléaires, quel que soit leur type : ceux cités précédemment, les combustibles UNE, mais également les combustibles fabriqués avec les matières issus du retraitement. Cette technologie est actuellement à l’étude.

L’Andra analyse également quel serait l’impact de l’arrêt du retraitement des combustibles usés, ce qui aurait alors pour conséquences de considérer les combustibles usés en entier comme déchets.

L’impact pour le CSA

Stockage des déchets FMA-VC au CSA

Ouvert en 1992, le Centre de stockage de l’Aube (CSA) avait stocké 371 305 m3 de déchets FMA-VC à fin 2022, ce qui représente 37,1 % de sa capacité de stockage autorisée (1 000 000 m3). 

La prise en charge des déchets FMA-VC issus du projet NNF, évalués à 98 400 m3 (40 200 m3 en phase d’exploitation et 58 200 m3 en phase de démantèlement), n’impacte que très peu le Centre : les prévisions de livraison des colis restent similaires avec une atteinte de la capacité de stockage autorisée aux alentours de 2060, ce qui, à douze mois près, équivaut à celle envisagée aujourd’hui. 

L’impact pour le Cires

Stockage des déchets TFA au Cires

Dans l’Aube également, le Centre industriel de regroupement, d’entreposage et de stockage (Cires) est ouvert depuis 2003 et stockait 451 259 m3 de déchets TFA à fin 2022, soit 69,4 % de sa capacité de stockage autorisée actuelle (650 000 m3). Au rythme actuel, cette capacité totale serait atteinte en 2029. L’Andra a ainsi déposé en avril 2023 une demande d’augmentation de la capacité de stockage autorisée du Cires, pour la porter à environ 950 000 m3, à superficie égale : c’est le projet Acaci. Cela prolongerait la durée d’exploitation du Centre d’une quinzaine d’années. Un nouveau site devrait néanmoins prendre la suite du Cires au regard des volumes à venir de déchets TFA : plus de 2 100 000 m3 d’ici à 2050-2060, selon l’Inventaire national des matières et déchets radioactifs.

Évalués à près de 120 000 m3 (23 400 m3 en exploitation et 96 000 m3 pour le démantèlement), les volumes de déchets TFA issus des nouveaux réacteurs sont relativement faibles au regard de l’ensemble des volumes de déchets TFA attendus dans les dizaines d’années à venir. Ils pourront être absorbés dans le cadre du fonctionnement du Cires, dont l’atteinte de la capacité maximale prévue (avec le projet Acaci) ne serait avancée que de trois à quatre mois, puis par le futur centre de stockage TFA(2).

(2) La nécessité de cette installation est déjà inscrite dans le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR).

 

L’impact pour Cigéo

Vue 3D du projet Cigéo (zone de stockage des déchets HA en vert et des déchets MA-VL en jaune)

Si le projet Cigéo est autorisé, l’Andra pourrait débuter la mise en stockage de 73 000 m3 de déchets MA-VL à l’horizon 2035, et de 10 000 m3 de déchets HA à l’horizon 2080.

L'inventaire de référence correspond à la production de l’ensemble des déchets HA et MA-VL issus du fonctionnement et du démantèlement des installations nucléaires en exploitation ou disposant de leur autorisation de création (l’EPR de Flamanville 3, le réacteur de recherche Jules Horowitz et l’installation de recherche ITER). Il se base sur un scénario de poursuite de la production électronucléaire avec une hypothèse de durée moyenne de fonctionnement des installations en service de cinquante ans et de retraitement de la totalité des combustibles usés produits (stratégie de multi-recyclage).  

Dans le cadre du projet de six nouveaux réacteurs, et quelle que soit la stratégie de retraitement retenue, le volume supplémentaire de déchets MA-VL produits ne représenterait au plus que 5 % du volume total de déchets MA-VL prévus dans Cigéo. Ce volume serait de l’ordre de 3 951 m3 si la politique de multi-recyclage est mise en œuvre, de 3 929 m3 en situation de mono-recyclage, et de  2 574 m3 en cas d’arrêt du retraitement des combustibles usés (déchets résultant notamment du démantèlement des EPR2).

Quant au volume des déchets HA produits de ces réacteurs, il ne représenterait au maximum qu’un peu moins de 20 % du volume total de déchets HA prévus dans le stockage. Ce volume serait de l’ordre de 1 872 m3 si la politique de multi-recyclage est mise en œuvre, de 971 m3 en situation de mono-recyclage, et de  0 m3 en cas d’arrêt du retraitement des combustibles usés (tous les combustibles usés seraient dès lors considérés comme déchets).

Toutefois, l'augmentation du nombre de colis de déchets HA ainsi que la prise en compte éventuelle des combustibles usés générés par les six réacteurs EPR2 (selon la stratégie de retraitement) auraient un impact sur l’espace de stockage souterrain de Cigéo. Certains colis de déchets auront des inventaires radiologiques et des caractéristiques thermiques qui nécessiteront une durée d’entreposage supérieure de près de vingt ans à celle des déchets actuellement produits, et donc un allongement de la phase de fonctionnement de Cigéo et un report de la date de fermeture du stockage (actuellement à l’horizon 2155).

L’augmentation de la durée de vie de l’installation et de son emprise n’est cependant pas rédhibitoire à la prise en charge de ces déchets dans Cigéo, comme l’indique Pierre-Marie Abadie, directeur général de l’Andra : « Sur le plan des exigences de sûreté en exploitation et à long terme, la prise en compte dans le stockage des déchets de six réacteurs EPR2 ne remet pas en question les modalités actuelles de maîtrise des risques ». 

 

Notons que si la création des six nouveaux réacteurs est autorisée, des études complémentaires devront être menées pour conforter l’évaluation préliminaire de l’Andra. Leur prise en charge par Cigéo nécessitera également de respecter les processus réglementaires et démocratiques préalables à l’autorisation de stockage.

 

 

Chiffres clés

Les 6 nouveaux réacteurs EPR2 pourraient représenter : 

  • Déchets TFA : 120 000 m3

 

  • Déchets FMA-VC : 98 400 m3

 

  • Déchets MA-VL :

Multi-recyclage

Mono-recyclage

Arrêt du recyclage

3 951 m3

3 929 m3

2 574 m3

 

  • Déchets HA :

Multi-recyclage

Mono-recyclage

Arrêt du recyclage

1 872 m3

971 m3

0 m3

 

  • Combustibles usés pouvant être requalifiés en déchets :

Multi-recyclage

Mono-recyclage

Arrêt du recyclage

-

9 007 assemblages

20 078 assemblages

Lire l’étude complète de l’Andra

Quid des projets de petits réacteurs nucléaires innovants ?

Le développement de réacteurs nucléaires modulaires de petits tailles, dits SMR ou AMR, est en plein essor. Ce développement s’inscrit notamment dans le cadre de l’appel à projet France 2030 sur les « Réacteurs nucléaires innovants », avec l’ambition de créer un nouvel écosystème de start-ups nucléaires pour répondre au besoin de décarboner l’industrie. Ces réacteurs sont de taille et de puissance plus faibles que celles des réacteurs actuellement en activité. Ils font appel à différentes technologies et ne sont pas tous au même stade de développement.

Comme toute installation nucléaire, les SMR et AMR produiront des déchets radioactifs qui devront faire l’objet d’autorisations pour être stockés dans les installations de l’Andra. Leur développement n’est pas suffisamment avancé à ce stade pour présenter les typologies et volumes de déchets produits. Néanmoins, l’Agence regarde ce sujet de près, afin notamment d’accompagner les porteurs de projet à fournir les données qui seront nécessaires pour permettre l’identification des filières de gestion des déchets produits par leurs installations (caractéristiques, volume des déchets). Si ces échanges permettront aux futurs producteurs de déchets de mettre en place la caractérisation de leurs déchets, ils ne préjugent pas de l’acceptabilité des déchets par les centres de l’Andra.