« Prendre en compte la curiosité des archéologues du futur »
Dans le cadre de la 3e édition de son appel à projets « Art et Mémoire », l’Andra a une nouvelle fois invité les artistes de toutes les disciplines à proposer leurs idées pour contribuer à la réflexion collective sur la mémoire des centres de stockage de déchets radioactifs. Trois artistes ont été primés en février 2019 pour la pertinence, la cohérence et l’originalité de leurs propositions artistiques. Artistes plasticiens, le duo Tugba Varol et Adrien Chevrier, 2e prix du Jury pour « Implore/Explore », revient sur son projet et ses motivations à participer au concours.
Artistes plasticiens, Tugba Varol et Adrien Chevrier s’intéressent notamment à la cohabitation du corps et de l’image. Proche d’un travail anthropologique, leur pratique artistique s’appuie notamment sur des recherches autour de l’évolution de nos capacités cognitives. Imagination, empathie, réflexes… Comment déléguons-nous ces capacités aux nouvelles technologies ? Et comment cette question nous renvoie-t-elle à notre nature d’Homme ? Autant de réflexions qui parcourent leurs œuvres.
Pourquoi avez-vous participé à l’appel à projets « Art et mémoire de l’Andra ?
Un ami nous en a parlé. Pour nous deux, la notion de mémoire est importante dans nos travaux et dans nos processus de recherche. Nous imaginons souvent des ponts entre l’évolution de l’homme, son histoire, et ses futurs possibles. Le projet de l’Andra qui consiste à penser l’avenir conceptuel, mais aussi linguistique et même social d’une problématique déjà présente, a tout de suite suscité notre intérêt. Créer un pont entre nous et nos descendants a vraiment été très intéressant.
En quoi consiste votre œuvre ?
L'idée principale du projet Implore/Explore est d'utiliser comme langage symbolique, la géométrie et les ordres de grandeur. Il s’agit d’un monument gigantesque et saillant qui figure physiquement l'importance du lieu. La forme globale de l’œuvre a été pensée à partir des « pétales » du symbole de la radioactivité, relevés à 60° et se dressant devant nous comme des monolithes imposants.
Au cœur de ce monument est visible un baril contenant un échantillon de déchet radioactif, figé dans un épais cylindre de verre. Des inscriptions se trouvant aux dos des monolithes indiquent clairement que sous la terre, ne se trouve qu’une plus grande quantité de ce qu’il y a dans ce baril. En effet nous avons pensé qu’il serait idéal pour un archéologue, de connaître sans creuser, le contenu d’un tel site.
Qu’est-ce qui a guidé votre réflexion ?
L’archéologie nous a intéressés. Ou plutôt notre rapport aux traces laissées par nos ancêtres, que nous extirpons de la terre. Comment, malgré la volonté hermétique de certains temples et les mises en garde inscrites à leur entrée, décidons-nous tout de même de violer ces lieux ? La curiosité, la plus grande qualité mais aussi le plus grand défaut humain, est probablement ce qui nous pousse le plus souvent à franchir les interdits. C’est ce qui nous a amenés à prendre en compte la curiosité qui animera de lointains futurs archéologues.
Ce projet nous a amenés à repenser le rapport que l’humanité entretient avec ses propres traces. Dans un monde où le recyclage est de plus en plus au centre de nos préoccupations, on peut parler de véritable bouleversement pour notre société : nous passons d’un système où l’on abandonnait ce qui ne servait plus, à une organisation où tout doit servir à quelque chose, et où au final rien ne peut plus subir l’action du temps, être oublié. Dans cette société-là, les déchets ultimes non traitables actuellement, seraient à l’instar des sépultures royales ou autre objets sacrés, les seuls artefacts que l’humanité laisserait, isolés du monde, en paix. Et par conséquent, peut-être les seuls vestiges cédés aux futures sociétés.