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Termen, une balise géologique visible du ciel

Dans le cadre de la 3e édition de son appel à projets « Art et Mémoire », l’Andra a une nouvelle fois invité les artistes de toutes les disciplines à proposer leurs idées pour contribuer à la réflexion collective sur la mémoire des centres de stockage de déchets radioactifs. Trois artistes ont été primés en février 2019 pour la pertinence, la cohérence et l’originalité de leurs propositions artistiques. Artiste et réalisatrice, Laure Boby, prix du Jury revient sur son projet et ses motivations à participer au concours.

Laure Boby est née en 1983, elle vit et travaille à Paris. Artiste et réalisatrice, sa pratique artistique se veut pluridisciplinaire. Arts plastiques, vidéos, pratiques éditoriales, dessin, mais aussi musique, son œuvre se développe autour d’associations d’idées, de rebondissements. Elle cherche à rendre sensible ce qui ne l’est pas au premier abord. Ses sujets de prédilections : les sciences de la vie et de la terre, le territoire, et toutes les petites histoires cachées derrière la grande Histoire. Avec « Termen », (« balise » en latin), elle propose une balise spatiale et temporelle qui à la fois signale et contient la mémoire.

 

Pourquoi avez-vous participé à l’appel à projets « Art et mémoire » de l’Andra ?

Les questions d’écologie et de territoire m’intéressent beaucoup. Travailler autour de la notion de mémoire à propos d’un centre de stockage de déchets radioactifs amène de nombreux et parfois curieux questionnements. Il s’agit de sortir des temporalités humaines pour éprouver des temps plurimillénaires ! Qu’est-ce que stocker et comment stocker, quand nous ne savons rien de la manière dont on stockera dans 200, 1 000 ou 50 000 ans ? Dans le prolongement de ces questions passionnantes se développe aussi la problématique de la réversibilité, donc de la mémoire et du « balisage ». Tout cela m’a beaucoup interpellée.

En quoi consiste votre œuvre ?

Il s’agit d’une installation qui prend la forme de trois tumuli (collines) de 5 à 10 mètres de haut. Chaque tumulus est constitué de nombreuses couches de matériaux géologiques (roches argileuses et calcaires locales, marnes) et « anthropogéniques », c’est-à-dire provenant de l’action humaine (béton, roches-agrégats de plastiques, par exemple). Ces couches rappellent à la fois le site terrestre du Laboratoire (qui aura alors peut-être disparu dans le futur ?) mais surtout cette époque, la nôtre, où l’on utilisait l’énergie nucléaire. De fines plaques en métal, incrustées entre certaines strates, transmettent des informations sur le site, sous forme de dessins. L’idée de ces tumuli est de « faire balise ». Tout en se mêlant au paysage environnant, chaque tumulus se distingue par sa singularité.

Au fur et à mesure des années qui passent, chacun d’eux sera amené à changer d’aspect, à se végétaliser, à se dévégétaliser selon les conditions climatiques… mais il restera visible de loin, sur terre, mais également du ciel.

Qu’est-ce qui a guidé votre inspiration et votre réflexion ?

Cette question de la vue du ciel est essentielle dans ma proposition. La mémoire pourrait se perdre, mais la trace du site perdurer. C’est ainsi que l’on continue d’observer en marchant ou grâce à Google Earth les traces des tumuli d’anciennes civilisations. J’ai habité plusieurs années sur une île du Pacifique et j’ai eu le temps d’étudier les aspects historiques et sociétaux de l’île dans le cadre d’un de mes projets artistiques. J’ai ainsi découvert que la civilisation du peuple Rapanui fut dévastée et sa mémoire presque totalement perdue au XIXe siècle, en raison de la déportation de la population au Pérou, dont quasiment toutes les personnes qui détenaient le savoir et la mémoire. La mémoire revint plus tard, lentement, de manière fragmentaire, par des récits transmis par quelques anciens et l’étude minutieuse de cette civilisation ancienne par les archéologues et anthropologues. On peut donc imaginer qu’une altération ou une perte de la mémoire du site de stockage à la suite de crises humaines diverses pourrait être compensée par des repères capables de créer une attention particulière pour le site.

 

Esquisse
Vue du site, septembre 2018
Vue du site, 2422
Termen
Les strates géologiques contemporaines, issues de matériaux locaux et de matériaux anthropogéniques
Idée de l’emplacement des trois tumulus, qui pourrait être vu du ciel (même végétalisés, dans le futur)
Implore/Explore, 2e prix Andra : prendre en compte la curiosité des archéologues du futur Lithonance, prix du Public : multiplier les chances que le message soit compris