Une forêt instrumentée au service des connaissances scientifiques
Depuis 2011, une futaie de hêtres de la forêt domaniale de Montiers-sur-Saulx (Meuse) abrite instruments, capteurs et stations de mesures qui renseignent les chercheurs de INRAE et les experts de l’Andra sur l’évolution au long cours de l’écosystème forestier. Un laboratoire à ciel ouvert accessible aux visiteurs à l’occasion de la journée internationale des forêts.
« L’Observatoire pérenne de l’environnement (OPE) est né en 2007 de la volonté de l’Andra de dresser un état de référence de l'environnement avant de réaliser le site de stockage géologique de Cigéo », explique Paul-Olivier Redon, adjoint au chef de service Environnement et eaux de surface de l’Andra. L’enjeu ? « Suivre les caractéristiques et les interactions des composants naturels : eau, air, sol, flore et faune dans les différents milieux, notamment forestiers. », répond cet ingénieur en biogéochimie qui suit l’observatoire depuis 10 ans.
En partenariat avec INRAE, l’Andra a instrumenté une hêtraie à proximité du futur site de Cigéo pour avoir des données robustes et systémiques sur les cycles de l’eau et les éléments chimiques dans l’écosystème forestier. « Il s’agit d’approfondir notre connaissance globale du fonctionnement de la forêt pour déterminer l’origine et les causes d’éventuelles perturbations », explique-t-il.
Radioécologie et changement climatique
Des études menées dans la hêtraie de Montiers permettent de mieux connaitre le parcours de certains éléments chimiques dans l’environnement. Par exemple, une thèse de doctorat soutenue à l’Université de Lorraine a porté sur le cycle du bore, un micronutriment accumulé par les végétaux et, par ailleurs, utilisé dans la vitrification des colis radioactifs.
D’autres travaux de recherche concernent les cycles du chlore, du sélénium, de l’iode et du césium, éléments présents sous formes radioactives dans les déchets nucléaires. « Ces éléments chimiques, dits « traces », sont naturellement présents en très faibles quantités dans l’environnement, souligne Paul-Olivier Redon. En suivant leur évolution, nous pouvons nourrir des modèles de transfert en radioécologie. Comme les isotopes stables et radioactifs de chaque élément se comportent de la même manière, l’étude des isotopes stables nous permet de simuler le transfert potentiel des éléments radioactifs dans l’écosystème forestier et d’anticiper leur éventuelle propagation. ».
Au-delà d’une hypothétique contamination, un autre péril menace déjà la hêtraie : « Le changement climatique, notamment le manque d’eau, est ce qui perturbe le plus l’écosystème forestier ».
Une tour à flux
Toujours au cœur de la hêtraie se dresse un pylône de 45 mètres de haut, bardé d’instruments et de capteurs : anémomètres, thermomètres, hygromètres, caméra… Cette tour à flux analyse les échanges gazeux entre la biomasse et l’atmosphère, associant mesure des turbulences de l’air, données météorologiques, analyse des gaz et du rayonnement...
Ces informations renseignent notamment sur l’état de santé et la capacité de séquestration du CO2 de l’écosystème forestier. Les données acquises sont partagées au sein d’un réseau européen standardisé de mesures, ICOS (Integrated Carbon Observation System), ainsi que, au niveau national, avec le réseau AnaEE (Analyse et Expérimentation sur les Ecosystèmes) qui réunit une trentaine de plateformes expérimentales.
Simuler la sècheresse
Trois stations biogéochimiques sont également réparties dans la forêt de Montiers-sur-Saulx, sur trois types de sols différents, du plus profond et acide au plus superficiel et calcaire. L’objectif est d’étudier les relations entre les sols et la nutrition des arbres, et leur influence sur la croissance de la forêt. « Nous avons ainsi constaté que la quantité de bois produit par la forêt passait de 11 tonnes par an pour le sol le plus profond, à 6 tonnes pour le sol le moins épais » indique Marie-Pierre Turpault, directrice de recherche en Biogéochimie des Écosystèmes Forestiers à INRAE. Mais ces chiffres sont tributaires du climat. « Trois années consécutives de sécheresse entre 2018 et 2020 ont réduit la production annuelle de 2 à 3 tonnes selon les sols » relève la spécialiste.
A côté du site instrumenté avec l’Andra, les chercheurs de INRAE ont installé sous la canopée un dispositif permettant, grâce à une toiture amovible, de priver d’eau de pluie une parcelle arborée. Ce simulateur de sècheresse permet d’entrevoir l’avenir : « Les projections in situ sont bien plus prédictives que des expériences menées en serre. Nous avons pu démontrer que la sècheresse provoquait un stress nutritif » poursuit Marie-Pierre Turpault. En contribuant aux connaissances environnementales, en comparant les informations au sein de réseaux d’observation, l’Andra montre aussi que ses activités industrielles ne sont pas en cause dans un éventuel dépérissement de la hêtraie de Montiers-sur-Saulx.
« Il s’agit d’approfondir notre connaissance globale du fonctionnement de la forêt pour déterminer l’origine et les causes d’éventuelles perturbations »
Communiquer et informer
A l’occasion de la journée internationale des forêts l’Andra fera découvrir , pendant la dernière semaine de mars, ses installations forestières aux élèves des écoles voisines ainsi qu’au grand public lors du premier week-end d’avril.
Une visite de l’écothèque de l’OPE, une banque d’échantillons environnementaux, complètera cette visite : des jeux et des animations sont prévus dans l’espace d’exposition consacré à l’écosystème forestier. « Pour les scientifiques aussi, la conservation à long terme d’échantillons est un enjeu majeur » se réjouit la chercheuse de l’INRAE qui souligne à quel point la collaboration avec l’Andra apporte une opportunité rare, celle du suivi d’un écosystème sur une longue durée.
« Enfin, les résultats des travaux menés dans la forêt instrumentée ont déjà des applications pour les gestionnaires forestiers, et en particulier pour l’ONF avec laquelle nous échangeons beaucoup », conclut Marie-Pierre Turpault.