À Charquemont, quinze ans de déconstruction
En novembre dernier, au terme d’un long chantier d’assainissement, plusieurs fois interrompu, les habitants de Charquemont (Doubs) ont vu disparaître les derniers bâtiments de l’ancienne usine horlogère Haenni, qui étaient pollués par la radioactivité.
Voisin de la Suisse, le département du Doubs est, comme elle, riche d’une longue histoire horlogère. Celle-ci lui a laissé en héritage un savoir-faire reconnu… mais aussi des sites industriels pollués par la radioactivité. Tout au long du XXe siècle, l’industrie horlogère s’est en effet servie de deux éléments luminescents(1), le radium et le tritium, pour faire briller les cadrans des réveils et des montres la nuit. Or, ils sont radioactifs et donc dangereux pour la santé. C’est pourquoi ils ont fini par être interdits pour ce type d’usage, le premier dans les années 1960 et le second à la fin des années 1990.
(1) C’est-à-dire ayant la propriété d’émettre de la lumière dans l’obscurité.
Quand le portique sonne…
À Charquemont, la petite usine Haenni n’a pas fait exception à la règle. Fondée en 1913 par un doreur venu de Suisse, elle ferme définitivement ses portes en 2009 après avoir compté jusqu’à plusieurs dizaines de salariés. Elle s’étend alors sur 4 143 m², occupés par une demi-douzaine de bâtiments de taille et d’âge divers. La société Industries Mécaniques Internationales (IMI), qui l’a rachetée en 2002, entreprend une grande opération de déménagement pour préparer sa déconstruction. Mais l’un des premiers colis envoyés à la décharge fait sonner le portique d’entrée, ce qui signale la présence de radioactivité. Dans le même temps, la présence de produits radioactifs est constatée dans un grenier du bâtiment historique (kits de peinture, caisses contenant du matériel pour la fabrication de montres). Le chantier s’arrête immédiatement pour changer radicalement de nature, puisqu’il faut commencer par une dépollution radioactive dans les règles.
Une cartographie de la radioactivité est alors réalisée et un premier plan d’action est validé par la préfecture. Localisée dans l’enceinte du site, la pollution ne représente pas de danger pour les riverains et l’environnement. Mais par principe de précaution, les pouvoirs publics demandent à l’exploitant de procéder à l’assainissement du site. Le nouveau propriétaire finalise donc rapidement et par ses propres moyens la dépollution, relativement simple, des bâtiments les plus récents. Il sollicite une aide financière de la Commission nationale des aides dans le domaine radioactif (CNAR) pour les autres bâtiments, qui nécessitent des interventions plus lourdes.
« La CNAR a été créée en 2007 pour attribuer les subventions publiques destinées à assainir les sites pollués par la radioactivité, explique Laurent Cronimus, chargé d’affaires en assainissement de sites pollués à l’Andra. Nous en assurons le secrétariat. Si un site n’a plus de propriétaire, la CNAR finance intégralement les travaux. Dans le cas contraire, nous cherchons le meilleur compromis. Concernant l’usine Haenni, la Commission a décidé de laisser à la charge d’IMI la part de pollution liée au tritium, estimant que, en professionnel avisé, cette dernière ne pouvait ignorer le risque de présence de radioactivité au moment du rachat, quelques années seulement après l’abandon du tritium. Enfin, comme à chaque fois que la CNAR s’engage, l’Andra a été chargée de superviser le chantier. »
2,1 millions d’euros
C’est l’aide accordée par la CNAR au propriétaire de l’ancienne usine Haenni pour décontaminer ses bâtiments les plus problématiques. Elle a été débloquée à mesure de l’avancement des travaux.
Un chantier à rebondissements
Or, celui-ci n’est pas un long fleuve tranquille. Au redémarrage des opérations de décontamination, en 2014, les opérateurs sur le terrain mettent en évidence une radioactivité plus importante qu’estimée et la présence d’amiante. « Nous avons découvert par endroits plusieurs générations de planchers superposés, enfermant chacun leur lot de radium. Il a fallu tout arrêter, refaire les mesures de radioactivité, soumettre un nouveau plan de décontamination à la préfecture... et voter des crédits supplémentaires », déclare Laurent Cronimus.
Le chantier reprend en 2018 et se poursuit jusqu’en 2021, rythmé toutes les deux semaines par des réunions de chantier en présence du technicien de l’Andra. « Trois ans, cela peut paraître long, mais nos prestataires travaillent dans des bulles confinées et ventilées, accessibles par des sas, où il est très difficile de faire intervenir plus d’une quinzaine de personnes à la fois. C’est indispensable pour assurer leur sécurité et la radioprotection », précise Laurent Cronimus.
Un dernier rebondissement se produit alors : la détection d’une petite quantité résiduelle de tritium dans un local lors d’un contrôle final de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Elle conduit à un chantier supplémentaire, achevé en 2023. Le propriétaire peut enfin finaliser la démolition de l’usine, en octobre et novembre 2024. Au vu du soin apporté à la dépollution des lieux, la préfecture autorise l’utilisation des gravats non contaminés pour des travaux de comblement, en prévention des risques de glissement de terrain.
Et maintenant…
Que sont devenus les déchets radioactifs issus de l’assainissement du site ? Ils sont constitués en quasi-totalité de gravats et de déchets techniques associés, c’est-à-dire des outils et des équipements de protection utilisés pendant le chantier. Une certaine quantité d’amiante peut s’y trouver mêlée. Tous sont de très faible activité radioactive (TFA). Ils ont donc été dirigés vers le Centre industriel de regroupement, d’entreposage et de stockage (Cires) de l’Andra, situé dans l’Aube.
Seule une infime quantité de poudres ou de liquides plus concentrés a été acheminée à l’usine Centraco(2), dans le Gard, pour incinération. Les résidus radioactifs de ce procédé sont également pris en charge par l’Andra.
Quant au terrain, il sera bientôt libéré pour d’autres usages. « Comme il va subsister une pollution en profondeur, les projets d’aménagements futurs seront limités, par exemple à un parking imperméable, indique Laurent Cronimus. Une fois le dossier accepté par la préfecture, nous aurons à contrôler sa bonne exécution. Une petite partie de la subvention de la CNAR a d’ailleurs été réservée pour cela. Nos missions se déploient parfois sur un temps très long ! »
(2) Usine de traitement de déchets radioactifs de très faible activité (TFA) et de faible et moyenne activité à vie courte (FMA-VC), partenaire de l’Andra.
Et pour les particuliers ?
Il peut arriver de retrouver au grenier ou à la cave des objets radioactifs, tels que des réveils, des poudres ou des produits cosmétiques. Ils portent régulièrement le symbole en forme de « trèfle » (ou trisecteur) sur leur emballage ou les lettres « rad » ou « ra » dans leur nom. Ils peuvent aussi être conditionnés dans du béton ou du plomb. L’Andra est chargée de les collecter, le plus souvent gratuitement. Contact : 01 46 11 83 27 ou collecte-dechets@andra.fr
Pour les professionnels hors industrie nucléaire, consultez la page dédiée sur le site Web de l’Andra et son guide d’enlèvement (cliquez ICI)