Faire Cigéo aujourd’hui, une assurance face aux incertitudes de demain
Depuis trois ans, un groupe d’experts en économie conseille l’Andra dans la réalisation de l’évaluation socio-économique de Cigéo. Cette étude vise à évaluer l’intérêt objectif du projet au regard de critères économiques, mais aussi sociétaux et environnementaux. Faire Cigéo est-il véritablement plus avantageux pour la société ? En quoi et selon quelles hypothèses ? Explications et enseignements avec Émile Quinet, docteur en sciences économiques, professeur émérite à l’école des Ponts-Paris Tech et président du groupe d’experts-économistes.
En France, 15 % des investissements sont réalisés par la puissance publique, dans des secteurs aussi importants que le transport, l’énergie, la santé ou l’éducation. Depuis 2012, la loi impose aux porteurs de projets de plus de 100 millions d’euros, de chiffrer l’utilité sociale des investissements prévus : « il importe que la décision de réaliser tel ou tel projet soit prise de la manière la plus éclairée possible », explique Émile Quinet. Pendant trois ans, l’économiste a présidé, à la demande de l’Andra, les travaux d’un groupe d’experts chargé d’évaluer le projet Cigéo. « Il s’agit d’étudier ses coûts et ses avantages, en prenant en compte non pas seulement le point de vue de l’Andra, porteur du projet, mais aussi celui de l’ensemble des membres de la collectivité nationale concernés par le projet, y compris les générations futures. »
4 options comparatives
Si ce type d’étude est fréquent pour des projets d’infrastructures plus ordinaires, comme des autoroutes ou des lignes de train, pour Cigéo, le défi est de taille. Il implique une méthodologie bien particulière. « Cigéo est un projet unique en son genre et d’une durée exceptionnelle. On ne peut pas le confronter à une expérience passée. Il nous a donc fallu construire des éléments de référence. » En s’appuyant sur les données de recherche et d’ingénierie disponibles, les économistes, en collaboration avec l’Andra et un cabinet d’étude spécialisé, ont modélisé puis comparé quatre options alternatives (cf. schéma ci-dessous) évaluées à l’aune de deux scénarios différents. Le scénario « OK » envisage ces options dans le cadre d’une société future prospère et stable. Le scénario « KO » les envisage au contraire dans une société future chaotique confrontée à des crises. Au-delà des seules considérations financières, ces modélisations prennent également en compte un critère plus qualitatif : le « bénéfice assurantiel », c’est-à-dire le service rendu à la population et l’attention portée aux générations futures.
Cigéo, une assurance pour les générations futures
Sur le plan strictement quantitatif, l’entreposage de longue durée associé à des recherches sur d’autres alternatives peut apparaitre comme une option économiquement plus favorable que Cigéo, « si et seulement si nos sociétés restent stables », précise Émile Quinet. Car si les recherches n’aboutissent pas, non seulement les sommes déjà investies pour Cigéo et la recherche d’alternatives seront perdues, mais les probabilités que la société perde en stabilité augmentant avec le temps, les risques encourus par les générations futures seront plus importants. Il faudra, qui plus est, prolonger les installations temporaires d’entreposage - ce qui a un coût économique et psychologique fort. « Plus la probabilité d’une défaillance sociétale est élevée, plus le bénéfice assurantiel considéré l’est aussi, plus Cigéo est rentable », résume l’économiste. L’option 1 (faire Cigéo) répond ainsi à une mise en sécurité définitive des déchets radioactifs et évite le report des charges sur les générations futures. Elle constitue une assurance sur le long terme pour la gestion des déchets radioactifs, dont la mise en œuvre représenterait un coût unique de l’ordre d’une centaine d’euros par habitant.
Versée au dossier de demande de déclaration d’utilité publique du projet Cigéo, cette évaluation socio-économique permet d’objectiver ces hypothèses. « Elle constitue un outil d’aide à la décision pour les autorités publiques. Elle leur donne des informations sur les critères à prendre en compte, ou non, dans leurs choix politiques et sur les poids respectifs de ces critères ». Une contre-expertise menée par le secrétariat général pour l’Investissement a permis de confronter les résultats obtenus et a abouti à un avis favorable pour le projet Cigéo, avec des recommandations associées aux conditions de réussite du projet.