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Le milieu géologique, fondement du stockage géologique profond

Le principe du stockage géologique consiste à placer les colis de déchets radioactifs dans des ouvrages construits en profondeur, dans le sous-sol, et à tirer parti des propriétés naturelles de la roche pour contenir les éléments radioactifs, et très fortement ralentir leur déplacement. Les quelques éléments radioactifs les plus mobiles seront ainsi retenus dans la roche pendant plusieurs centaines de milliers d’années, et ne présenteront plus aucun danger pour l’Homme et l’environnement. Le milieu géologique joue donc un rôle fondamental dans la sûreté à long terme du stockage. C’est pourquoi l’Andra l’étudie sous toutes les coutures.

L’argile du Callovo-Oxfordien étudiée en Meuse/Haute-Marne.

Au milieu des années 1990, des campagnes géologiques pour l’implantation d’un laboratoire souterrain ont été menées sur quatre sites en France (la Meuse, la Haute-Marne, le Gard et la Vienne). Objectif : étudier la faisabilité d’un stockage profond pour les déchets radioactifs les plus dangereux. « Les sites de Meuse et de Haute-Marne ont fusionné en un seul site car il s’agissait de la même couche géologique argileuse située dans le Bassin parisien. Ce choix est issu de la convergence de deux critères : l’un politique – les sites devaient bien sûr être candidats pour accueillir un laboratoire souterrain en vue d’un stockage sur le site même – et l’autre géologique, rappelle Frédéric Plas, directeur de la recherche et développement à l’Andra. Car c’est bien la géologie qui est le fondement de la sûreté du stockage sur le prochain millier d’années. »

 

Un environnement géologique exceptionnel

Campagne de reconnaissances sismiques aux alentours du Centre de Meuse/Haute-Marne.

Étudié par les géologues depuis des décennies, le Bassin parisien s’est formé il y a 300 millions d’années. Il est l’un des bassins sédimentaires les plus stables au monde, avec une quasi-absence d’activité sismique, et se présente comme une cuvette avec un empilement de couches sédimentaires majoritairement calcaires et argileuses. Parmi ces couches, une formation argileuse, d’âge Callovo-Oxfordien (COX). Déposée il y a 160 millions d’années, elle a été peu déformée depuis, ce qui préjuge de son évolution lente et peu perturbée sur le prochain million d’années. À cette stabilité exceptionnelle s’ajoutent les propriétés remarquables de cette couche argileuse pour le stockage de déchets radioactifs (lire l’interview ci-dessous).

« En 1998, sur la base de dossiers remis par l’Andra et de leur instruction par des autorités indépendantes, le Gouvernement a demandé à l’Agence de poursuivre les études de faisabilité d’un stockage géologique profond et a autorisé la construction d’un laboratoire souterrain de recherches en Meuse/Haute-Marne en vue de l’implantation d’un centre de stockage. L’ensemble des études de caractérisation de la roche qui ont suivi (profondeur, épaisseur, minéralogie, géomécanique, perméabilité à l’eau, rétention des éléments radioactifs, etc.) ont permis de montrer la faisabilité du stockage profond des déchets radioactifs les plus dangereux dans les argilites du Callovo-Oxfordien, sur le site de Meuse/Haute-Marne. Et ce à la fois en termes de réalisation et de garantie sur la sûreté à long terme, poursuit Frédéric Plas. Nous nous sommes appuyés notamment sur des études du Bureau de recherche géologique et minière (BRGM) pour définir des zones potentielles d’implantation du stockage. Nous sommes partis de données existantes, que nous avons ensuite précisées, en resserrant petit à petit la zone, d’abord sur 250 km2 (dossier de 2005), puis sur 30 km2 (dossier de 2009). Sur ces “timbres-poste” à l’échelle du Bassin parisien, nous avons mené des investigations extrêmement détaillées : depuis la surface à l’aide de campagnes de reconnaissances sismiques 2D et 3D et de nombreux forages, et au fond avec des expérimentations dans le Laboratoire souterrain de l’Andra. »

 

Une couche argileuse aux propriétés remarquables

Éxpérimentation dans une galerie du Laboratoire souterrain de l'Andra.

Épaisse de 140 à 160 mètres et située en moyenne à - 500 m de profondeur, la couche argileuse du Callovo-Oxfordien susceptible d’accueillir le stockage présente des propriétés remarquables du point de vue du confinement de la radioactivité : une très faible perméabilité (la roche ne laisse quasiment pas passer l’eau) avec une très bonne capacité à retenir les éléments radioactifs. Autre qualité : elle s’avère particulièrement homogène sur une échelle de 250 km².

« Si cette couche est le pilier du stockage, il est nécessaire de l’appréhender dans son environnement global, en prenant notamment en compte les formations géologiques qui l’encadrent, précise Frédéric Plas. Nous nous sommes par exemple assuré de l’absence de fractures au sein de cette zone de 250 km² ou de l’absence de ressources exceptionnelles ou particulières (pétrole, gaz, charbon, géothermie, etc.). » Autant d’éléments qui concourent à assurer la sûreté à long terme du stockage des déchets radioactifs.

 

 

 

Le réacteur naturel d'Oklo, au Gabon

La mine d’uranium d’Oklo, au Gabon, renferme le seul réacteur nucléaire naturel connu. Il a constitué une base d’informations particulièrement intéressante pour l’étude du stockage géologique de déchets radioactifs. Des circonstances particulières ont conduit, il y a 2 milliards d’années, à des réactions en chaîne dans le sous-sol de ce site. Les zones où elles se sont produites sont restées confinées sur plusieurs centaines de mètres dans une région qui n’a connu aucun bouleversement géologique important en deux milliards d’années. Ce n’est qu’à une époque très récente que des phénomènes d’érosion ont amené les réacteurs au voisinage de la surface, permettant alors la découverte par l’homme des traces de produits de fission (éléments radioactifs produits lors de réactions en chaîne) devenus inoffensifs. Très étudié dans les années 1980-1990, cet exemple a notamment permis de conforter la capacité d’une formation argileuse à pouvoir confiner les éléments radioactifs sur des échelles de temps géologiques (à Oklo, les éléments radioactifs n’ont eu que quelques centimètres de déplacement dans la plupart des cas, quelques mètres au plus).

3 questions à... Pierre Pellenard (géologue)

Pierre Pellenard, géologue à l’université de Bourgogne à Dijon, spécialiste des sédiments et des argiles

Comment s’est formée la couche géologique qui accueillera le futur stockage ?

Au cours du Jurassique(1), l’actuel Bassin parisien correspondait à une mer peu profonde, bordée par différents massifs montagneux (le Massif central, le Massif armoricain, le Massif ardennais). Leur érosion a permis d’accumuler des sédiments constitués majoritairement de minéraux argileux, de silt et de carbonates. La couche du Callovo-Oxfordien est marquée par sa richesse en argiles en raison d’une production réduite des carbonates à cette époque.

 

Qu’est-ce qui permet aujourd’hui de conclure à la stabilité de cette couche géologique pour le prochain millier d’années ?

Pour un géologue, la stabilité se mesure à l’échelle de plusieurs dizaines à centaines de milliers d’années. On est ici dans une zone peu active tectoniquement c’est-à-dire qui ne subit pas de déformation importante et ne présente quasiment pas d’activité sismique. Ce qui contribue aussi à la stabilité du site de Cigéo, c’est l’épaisseur importante de la couche argileuse (environ 150 m) et sa profondeur (500 m). Si cela avait été plus proche
de la surface, au gré de l’érosion et des changements climatiques, un surcreusement mettant à nu ces roches aurait pu constituer un risque. Outre la stabilité de cette couche, un deuxième aspect important pour l’Andra est son homogénéité horizontale et verticale. Les propriétés de la couche (géotechnique, perméabilité…) sont en effet pleinement dépendantes de la composition sédimentaire et de la diversité minérale des dépôts argileux. La compréhension des mécanismes de formation et d’évolution au cours du temps de ces sédiments argileux est donc primordiale. L’épaisseur, la profondeur et l’homogénéité des argilites du Callovo-Oxfordien sont indéniablement des atouts géologiques majeurs pour le stockage au sein de cette couche.

 

Comment fait-on pour l’étudier ?

La sédimentologie permet d’identifier les variations des dépôts au cours du temps et d’en comprendre les mécanismes sous-jacents. L’étude des argiles permet notamment de reconstituer les sources potentielles d’approvisionnement du bassin sédimentaire. Elle permet également de fournir des éléments de réponses quant aux évolutions climatiques et tectoniques. En effet, le climat et en particulier les précipitations vont conditionner la formation des sols sur les terres émergées proches par altération chimique des roches mises à nu (granites, roches métamorphiques…) et déterminer l’intensité du ruissellement sur les continents. Les évolutions climatiques et/ou tectoniques qui prévalaient au moment du dépôt des sédiments auront ainsi un rôle déterminant sur la nature des argiles formant la couche du Callovo-Oxfordien et donc sur ses propriétés actuelles.

 

 

(1) Période géologique qui s’étend de - 201 à - 145 millions d’années.