Les abeilles font le miel de l’Observatoire pérenne de l’environnement
Pour étudier la végétation et son évolution sur 240 km2 autour de son Centre de Meuse/Haute-Marne, l’Andra fait appel à des enquêtrices un peu particulières : les abeilles.
Eau, air, faune, flore… avant même sa construction, tout l’environnement du projet de stockage profond de déchets radioactifs Cigéo est étudié de près à l’Observatoire pérenne de l’environnement (OPE). Mais ce territoire est vaste et il s’agit d’avoir une vue détaillée sur chaque écosystème, espèce ou individu. Alors, depuis 2011, l’Andra s’est adjoint les services d’une armée d’observatrices aussi minutieuses que précieuses, les abeilles. Avec l’aide de Paul Schweitzer, le directeur du Centre d’études techniques apicoles Moselle- Lorraine (CETAM-Lorraine), qui accompagne l’Andra depuis plus de dix ans, l’équipe de l’OPE s’est formée et équipée. Entre 2011 et 2015, cinq ruches ont été installées dont quatre sont munies de capteurs (température, humidité, comptage des entrées et sorties des abeilles) qui complètent les échantillons de miel et de pollens recueillis sur place. La cinquième possède des parties vitrées afin de permettre aux visiteurs de l’Écothèque* de découvrir la vie de la colonie. « Nous avons placé les ruches dans des milieux différents et nous récoltons de nombreuses données utiles sur l’environnement telles que les espèces végétales présentes et leur date d’apparition, qu’il faut maintenant analyser et recouper avec les autres informations que nous recueillons sur la météorologie, la qualité de l’air et des sols, etc. », explique Jean-Patrick Verron, responsable technique de l’Écothèque.
* Bâtiment où sont préparés et conservés les échantillons environnementaux prélevés dans le cadre de l’OPE.
Une surveillance de longue haleine
« Nous travaillons également en collaboration avec les apiculteurs du territoire. Les populations d’abeilles et le miel sont des marqueurs globaux de l’environnement. Après presque dix ans d’observations, nous avons constaté l’absence de dépérissement des populations, ce qui est un indicateur qualitatif d’un bon état de l’environnement. Mais ce n’est juste qu’un début. Nous suivrons sur plusieurs dizaines d’années grâce aux abeilles l’évolution de la flore, des pratiques agricoles, ou par comparaison avec les données récoltées au fur et à mesure du temps, les éventuelles évolutions liées à la construction de Cigéo, si celui-ci est autorisé. »
Des visites régulières
Combinaisons, gants, enfumoirs… Natacha Arnould, Sophie Bernard et Frédérique César, toutes trois techniciennes à l’OPE, doivent s’équiper pour inspecter les ruches, accompagnées du CETAM. Programmées toutes les deux à trois semaines de mars à octobre, ces visites sont plus ou moins approfondies en fonction des conditions météo. Quand tout est calme, l’équipe ouvre le couvercle, sort quelques cadres pour vérifier visuellement l’état de santé des abeilles, des larves et des oeufs, pour s’assurer qu’il n’y a pas de mycoses ou d’acariens et que les abeilles stockent suffisamment de provision de miel et de pollens. En fin de saison, les techniciennes nourrissent les abeilles pour qu’elles survivent à l’hiver.
Nectar et pollens, deux sources de nourriture pour les abeilles
Quand elles butinent, les abeilles ingèrent le nectar, jus sucré qu’elles récoltent au fond des corolles des fleurs. En même temps, elles se frottent aux pollens qu’elles transportent de fleur en fleur, assurant ainsi la « pollinisation » indispensable à la reproduction des plantes. Le nectar leur apporte des glucides. Mais comme nous, les abeilles ont besoin de protéines et de lipides, surtout en début de vie. Où les trouvent-elles ? Dans les pollens dont elles rapportent à la ruche des petites pelotes entre leurs pattes, qu’elles déposent dans les alvéoles afin de nourrir les larves.
Récolte des pollens
Tous les quinze jours, de mars à septembre, une grille est installée durant une douzaine d’heures devant les quatre ruches instrumentées. Les trous sont si petits que seules les abeilles peuvent passer, les obligeant à abandonner leurs pelotes de pollens, qui tombent dans une trappe. Une fois triés et nettoyés, les pollens sont analysés par le CETAM et révèlent les espèces de plantes visitées au cours de la journée. Chaque saison permet ainsi de récupérer environ 300 grammes de pollens par ruche. Ces échantillons sont ensuite mis en flacons, puis conservés à l’Écothèque en conditions cryogéniques.
45 kg de miel produit en 2019
Deux à trois fois par an, le miel des cinq ruches est récolté. La couleur, l’humidité, la teneur en sucre, les enzymes, les pollens présents… donnent des informations sur la composition florale du miel et donc sur les plantes butinées par les abeilles. Au-delà des échantillons qui sont analysés par le CETAM et conservés à l’Écothèque, ce sont plusieurs dizaines de kilos de miel qui sont produits chaque année sur place à l’Andra… et qui régalent les amateurs parmi les salariés !
« À la fois animaux domestiques dont nous exploitons le miel et animaux sauvages, les abeilles sont des auxiliaires d’observation exceptionnelles. Grâce aux pollens qu’elles récoltent et au miel qu’elles produisent, elles nous apportent des informations sur la flore que l’on ne pourrait pas obtenir autrement. »
Des populations d’abeilles qui évoluent
Une fois par an, une centaine d’abeilles sont prélevées sur chaque ruche. En observant de très près leurs ailes et leur corps, le CETAM peut déterminer le niveau d’hybridation dans chaque ruche. En effet, comme la reine est fécondée par plusieurs mâles venant d’autres colonies, différentes races se mélangent au sein d’une même ruche. À l’OPE, l’abeille noire traditionnelle de la région est de plus en plus métissée avec la Buckfast, une abeille hybride créée par un moine anglais au XXe siècle. Les abeilles ainsi prélevées sont cryogénisées et conservées à l’Écothèque.
Avez-vous remarqué que le miel de tilleul sent la menthe ?
C’est parce que le nectar produit dans les fleurs de tilleul contient du menthol. Mais, ironiquement, le miel de menthe, lui, ne sent pas la menthe. Pourquoi ? Parce que les molécules de menthol ne sont présentes que dans les feuilles, que les abeilles ne butinent pas.